
Mirova demande à Orpea d’adopter au plus vite le statut d’entreprise à mission

Comment sortir du bourbier Orpea par le haut ? Dans un courrier adressé au président du conseil d’administration du groupe de maisons de retraite et de cliniques, Mirova, société de gestion ESG, filiale de Natixis IM, invite Orpea a une transformation de son modèle. Entrée au capital d’Orpea en 2014, Mirova qui s’est progressivement renforcée à travers divers fonds à thématique sociale, en détenait 3,9% fin 2021 et a peu bougé depuis. Elle serait le troisième actionnaire du groupe derrière le fonds de pension canadien CPPIB et la famille Peugeot.
«Devant l’ampleur du scandale qui questionne les éléments que vous nous avez fournis ces dernières années, nous avons décidé de rendre publiques nos interrogations et nos volontés de changement vous concernant», précise la lettre. En effet, le décalage entre la vision d’Orpea par le marché et celle exprimée dans le livre Les Fossoyeurs a de quoi surprendre. Analystes et gérants seraient-ils si naïfs ou la direction d’Orpea n’aurait-elle pas communiqué de manière «exacte, précise et sincère», comme l’exige l’AMF ?
«Nous avons évidemment des interrogations sur la qualité des réponses apportées par Orpea, sur les défaillances, sur l’étendue des tromperies, voire sur un système de fraude organisée. Les enquêtes en cours nous le diront. Quand nous investissons sur des secteurs ESG, nous savons que les risques sont importants», précise Hervé Guez, directeur de la gestion actions, taux, solidaire chez Mirova. «Nous dialoguons régulièrement avec le groupe sur le financier et l’extra-financier, ajoute Mathilde Dufour, directrice de la recherche en développement durable de Mirova. La qualité des soins et la gestion du personnel étaient des sujets de discussion récurrents avec le management d’Orpea, dans l’attente notamment de plus de transparence. Nous n’ignorions pas les difficultés du secteur.»
Comme investisseur responsable, «nous voulons nous servir de cette crise en demandant des engagements renforcés», explique Hervé Guez. La société de gestion demande à Orpea d’adopter le statut d’entreprise à mission, très adapté au groupe du fait de son utilité sociale, explique Mirova. «L’adoption d’une raison d’être incluant la notion de ‘bien-traitance’ et d’objectifs sociaux couvrant une gestion responsable des RH permettrait d’ancrer définitivement [la] notion d’intérêt public. La mise en place d’un comité de mission incluant à la fois des externes et des employés, d’objectifs concrets associés à des critères de performance, et la publication d’un rapport de mission soumis à l’audit d’un organisme tiers indépendant, permettraient de garantir la mise en œuvre des moyens nécessaires à l’atteinte de ces objectifs», explique la lettre à Orpea.
La société à mission «ne résout pas tous les problèmes, mais elle permet de fixer des objectifs ancrés dans le fonctionnement de l’entreprise et d’obtenir des avis extérieurs», précise Hervé Guez. Le comité de mission «doit comprendre de véritables parties prenantes, capables de challenger l’entreprise, et s’appuyer sur des indicateurs clés (KPI) pertinents», ajoute Mathilde Dufour. Mirova demande à Orpea de soumettre la modification des statuts en société à mission dès l’assemblée générale 2022, le 23 juin, voire lors d’une AG extraordinaire «dans les meilleurs délais». Si ce n’était pas le cas, «nous ne nous interdisons pas de fédérer des investisseurs institutionnels pour déposer une résolution», poursuit Hervé Guez.
Améliorer la gouvernance
Orpea était bien noté par les agences de notation extra-financières. «Le modèle des agences de notation extra-financière n’est pas encore mature, constate Hervé Guez. Elles fondent leur notation essentiellement sur des informations publiques et non par des due diligence auprès de l’entreprise. Nous les invitons à en faire davantage sur le modèle des agences de notation crédit. En outre, l’amélioration annoncée des reportings comptables extra-financiers audités, certifiés et enrichis participera à l’amélioration de la transparence.»
Mirova propose d’autres actions pour améliorer la gouvernance. Elle réclame la transparence sur la gestion en amont de la crise, en particulier sur la date à laquelle le conseil a été informé de la rédaction du livre Les Fossoyeurs, qui a mis le feu aux poudres. Elle exige aussi de savoir pourquoi le conseil n’a pas informé les actionnaires et n’a pas demandé à ses membres informés de suspendre leurs opérations sur le titre.
La société de gestion invite aussi Orpea à intégrer les représentants des salariés – qui soient des vrais élus de terrain – au comité RSE. Parmi ses missions, le comité devra suivre la stratégie visant à garantir la qualité des services «et donc la bien-traitance» des résidents. Mais, «le comité RSE n’a pas la garantie d’un comité de mission, avec des indicateurs robustes», rappelle Hervé Guez.
Alors que le groupe est actuellement dirigé par un PDG, Philippe Charrier, Mirova recommande au conseil de nommer un vice-président doté de pouvoirs propres, en particulier celui de réunir les administrateurs indépendants séparément.
Par ailleurs, Mirova se félicite de la décision du conseil de suspendre toute attribution de rémunération à l’ancien directeur général, Yves Le Masne. «Au regard du nombre de plaintes et des conséquences de cette controverse sur l’entreprise, nous invitons le conseil à envisager l’incapacité de M. Le Masne à déployer une stratégie RSE robuste durant son mandat comme une faute justifiant la non-attribution de son indemnité de départ, le maintien de la condition de présence attachée aux actions de performance non encore acquises et la réduction significative de sa rémunération variable annuelle au titre de 2021 », poursuit Mirova.
«Vis-à-vis de nos porteurs de fonds, notre responsabilité n’est pas de démissionner, mais de rebâtir la confiance en poussant à l’adoption d’un modèle économique des maisons de retraite alliant la robustesse financière et la qualité de l’accueil et des soins», conclut Hervé Guez. Mirova peut «rester présent au capital d’Orpea, même si nous pouvons nous alléger ou nous renforcer au cours des prochains mois en fonction des éléments de réponse que nous aurons».
Plus d'articles du même thème
-
Le président de BP s’apprête à tirer sa révérence sous la pression d’Elliott
Helge Lund quittera le groupe britannique, vraisemblablement en 2026, dans le cadre d’une transition ordonnée. La recherche d’un successeur est désormais lancée. -
Rebondissement pour Scor dans l’affaire Partner Re
Le réassureur Scor est mis en examen, en tant que personne morale, dans le cadre de l’enquête judiciaire pour des faits reprochés à son ancien président Denis Kessler. L’instruction concerne des faits imputés à l’association ASPM accusée de tentative de déstabilisation du groupe Covéa lors de sa procédure de rachat du réassureur Partner Re en 2022. -
Les tribulations de Carrefour crispent le marché et fragilisent son patron
A la peine en Bourse depuis plusieurs années, le distributeur peine à convaincre du bien-fondé de sa stratégie alors que le mandat de son PDG, Alexandre Bompard, arrivera à échéance en 2026.
Sujets d'actualité
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions