Les biotechs françaises se mobilisent pour faire entendre leur voix

Le financement du secteur reste insuffisant pour faire émerger des «taureaux», plus que des licornes, animal imaginaire. Un récent colloque au Sénat s’est penché sur les défis du secteur.
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Le colloque sur «les impératifs de souveraineté et de financement en amorçage» dans les sciences de la vie s'est tenu lundi à Paris  - 

Lundi dernier lors du colloque sur «les impératifs de souveraineté et de financement en amorçage» dans les sciences de la vie, organisée par France Biotech et AdBio Partners au Palais du Luxembourg, sous le marrainage de Vanina Paoli-Gagin, sénatrice de l’Aube, les différents acteurs du secteur ont insisté sur la nécessité et l’urgence d’un financement suffisant dans la durée.

Le gouvernement mise sur son plan Deeptech, lancé en 2019, pour réindustrialiser la France, avec un objectif de créations de 500 start-up chaque année, contre 350 actuellement. Les résultats sont déjà là, avec plus de 800 millions de fonds propres levés en 2023 dans les deeptechs, se félicite Thomas Courbe, directeur général des entreprises, à Bercy.

Toutefois, le financement reste l’une des problématiques du secteur. «Il faut du temps long avec des poches profondes, mais pas du temps lent», martèle Vanina Paoli-Gagin, invitant les fonds à renoncer à des TRI extraordinaires au profit d’innovations de rupture. Les deeptechs ont besoin de 12 milliards d’euros d’ici à 2026, précise Michel de Lempdes, président de France Deeptech, association créée le mois dernier. Seuls 2 milliards ont été trouvés.

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Ventiler le crédit impôt recherche vers les PME-ETI

Nous sommes encore loin de l’objectif du 3% du PIB consacré à la recherche, on est à 2,2%, regrette Vanina Paoli-Gagin. Elle invite également à raccourcir les délais de mise sur le marché, et de poursuivre le travail sur la commande publique. La sénatrice propose aussi de mobiliser l’épargne privée vers la santé, comme cela a été fait pour le logement social. Vanina Paoli-Gagin souhaite par ailleurs que soit ventilée une partie du crédit impôt recherche, qui pèse plus de 7,4 milliards d’euros par an, au profit des PME et des ETI. Les assureurs sont doublement concernés, à travers les complémentaires santé et en tant qu’investisseurs institutionnels, reconnaît Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs, rappelant que la profession a répondu présente avec 3,7 milliards d’euros dans le fonds Tibi 1 et 4 milliards dans le Tibi 2.

De son côté, Bpifrance joue un rôle de sparring partner à travers son activité de fonds de fonds, et 1,5 milliard d’euros investis chaque année, explique Florent Debienne, directeur du pôle Innovation chez Bpifrance. La santé, qui pèse entre 20% et 35% des investissements chaque année, est le segment le plus rentable, se félicite Florent Debienne.

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La connaissance du marché américain est nécessaire

«Plus que des licornes, animal imaginaire, je préférerais que des taureaux émergent, sociétés puissantes», ironise Raphaël Wisniewski, associé chez Andera Partners. Or, quand les sociétés technologiques n’ont plus de financement, elles meurent ou sont rachetées à vil prix, souvent par des Américains, constate Philippe Tibi, professeur à Polytechnique, président de Pergamon, insistant sur l’importance de chaque stade de financement.

«On ferait mieux si on avait plus d’argent, reconnait Stéphane Boissel, CEO de Sparing Vision. La recherche académique française bricole avec des bouts de ficelle et n’est pas moins bonne qu’aux Etats-Unis. Nos hôpitaux sont à la pointe en matière de recherche clinique.» Le dirigeant invite à libérer les contraintes et à ne pas stigmatiser les entreprises qui gagnent de l’argent.

Si la recherche européenne n’est pas en retard par rapport à la recherche américaine, la conversion de la recherche académique en entreprise commerciale pêche, souligne Philippe Tibi. C’est le travail des fonds d’amorçage, qui peinent à attirer des capitaux, en raison de montants trop petits (autour de 5 à 10 millions d’euros) pour un institutionnel. Philippe Tibi invite à faciliter les montages, notamment avec les assureurs, qui ont tout intérêt à développer ces solutions.

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Avoir le bon manager à chaque stade de développement

La France n’a pas de problème pour trouver des bons scientifiques et des experts de la régulation, en revanche «le bât blesse au niveau du leadership et du management», constate Stéphane Boissel, soulignant toutefois une exception, avec Marc de Garidel, actuel CEO d’Abivax et ancien PDG d’Ipsen. Beaucoup de dirigeants français ne tiennent pas assez compte de la concurrence et fonctionnent trop à l’émotionnel, s’entêtant parfois à financer des projets mort-nés, poursuit Stéphane Boissel. La deeptech a besoin d’un dirigeant adapté à chaque phase de son développement. Le scientifique fondateur n’est pas forcément le bon dirigeant pour les différentes phases de financement.

«Nous investissons beaucoup sur le leader et l’équipe, précise Sabine Dandiguian, managing partner chez Jeito. Rares sont les entrepreneurs français avec une expérience américaine.» Or, avoir un responsable réglementaire qui connait la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine en charge de la sécurité alimentaire et de la santé, est essentiel, alors que le marché américain est le plus gros marché du médicament. «Il faut une fluidité entre la France et les Etats-Unis et ne pas avoir peur de partir et de revenir», ajoute Raphaël Wisniewski. Une meilleure connaissance du marché américain et un plan de développement outre-Atlantique permettent d’attirer des investisseurs locaux, poursuit Anne Osdoit, CEO de Moon Surgical, rappelant que le marché français ne pèse que 5% du marché mondial.

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La lourdeur de la fiscalité et de l’administration françaises pèse

Une amélioration est aussi attendue du côté des pouvoirs publics et de l’administration. L’industrie biomédicale est essentielle pour la souveraineté du pays et pour son PIB, rappelle Stéphane Boissel, regrettant l’insuffisance des financements en amorçage et la lenteur de traitement des dossiers par l’administration. Michel de Lempdes invite aussi les pouvoirs publics à passer de la subvention à la commande, à faciliter les transferts de technologies et à simplifier la réglementation du vivant, avec des délais parfois six fois plus long qu’aux Pays-Bas. La France souffre aussi de la fiscalité de l’industrie pharmaceutique, avec six taxes supplémentaires, relève Virginie Lasserre, directeur des affaires externes chez Janssen France. De plus, la France est le pays européen où le prix du médicament est le plus bas. Des obstacles pour attirer de nouveaux acteurs.

Aussi, «réservez les silos au grain et les mille-feuilles à la gastronomie», conclut Vanina Paoli-Gagin, invitant les acteurs à être davantage présents dans le débat public.

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