Kim Fustier : «Un retour en arrière sur le télétravail dans les banques pénaliserait les femmes»

Analyste financière chez HSBC à Londres, Kim Fustier revient, dans un entretien exclusif, sur son métier qu’elle adore et sur la place des femmes dans la City londonienne.
Kim Fustier, analyste financière
Kim Fustier est analyste financière chez HSBC  -  DR

Nommée responsable de la recherche pétrole et gaz de HSBC il y a un peu plus d’un an, Kim Fustier est analyste financière à Londres depuis près de 20 ans. Après quelques mois dans les fusions-acquisitions chez Morgan Stanley, elle opte rapidement pour l’univers de la recherche actions, qu’elle ne quittera plus. Passée par JPMorgan et Credit Suisse, elle a également effectué une année sabbatique, qui ne sera pas sans conséquence pour l’évolution de sa carrière. Elle regrette la faible place faite aux femmes dans la finance londonienne et juge la mentalité française en la matière plus moderne que celle qu’elle observe au quotidien dans le cœur de la capitale britannique.

L’Agefi : Pourquoi avez-vous choisi une carrière dans la recherche actions, qui n’est pas le métier de la finance le plus connu ?

Kim Fustier : Mon intérêt pour la finance en général est venu relativement naturellement. Mon père était directeur financier d’une entreprise de taille intermédiaire, les sujets financiers s’invitaient régulièrement dans les discussions familiales. J’aimais les mathématiques mais j’ai choisi de faire une classe préparatoire HEC afin d’avoir une plus grande ouverture qu’en suivant un pur cursus scientifique. Une fois à HEC, le choix de la filière finance s’est fait naturellement car c’est la matière la plus intéressante selon moi, qui permet de comprendre l’économie et le monde qui nous entoure. J’ai ensuite réalisé mon premier stage en fusion-acquisition (M&A) chez Morgan Stanley mais j’ai rapidement bifurqué vers l’equity research.

L’analyse financière est un domaine qui était très peu mis en avant à HEC à l’époque où j’y étais, contrairement au M&A qui était très valorisé, présenté comme la carrière la plus prestigieuse, dans laquelle on fait bouger le monde. Au contraire, je trouve la recherche actions plus intéressante. Ce métier mobilise les mêmes compétences que le M&A – modélisation financière, forecasting – et permet d’avoir réellement une vue globale sur l’industrie qu’on suit. On parle à la fois aux PDG des grandes entreprises et aux investisseurs. Aucun métier dans la finance n’offre une vision aussi large.

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Les salaires sont toutefois plus élevés dans le M&A que dans l’analyse financière ?

Oui mais en contrepartie les journées sont plus soutenables. En moyenne, un analyste financier travaille de 7h à 18h quand un spécialiste des fusions-acquisitions fait 9h30-00h. Je ne sais pas comment certains font pour tenir ce rythme pendant des années. J’ai tenu huit mois.

Il est courant que, dans une réunion, je sois la seule femme pour neuf hommes

La pandémie et le télétravail ont-ils modifié vos habitudes de travail ?

Ils ont clairement ajouté de la flexibilité à mon travail qui favorise l’équilibre avec ma vie personnelle. Je télétravaille deux ou trois jours par semaine et même l’organisation des journées en présentiel a été modifiée. Maintenant, les analystes commencent leur journée de chez eux. A 7h, nous sommes sur le pont pour pouvoir répondre à d’éventuelles urgences, prendre des appels de clients, et nous arrivons au bureau dans le cours de la matinée. Le soir, nous pouvons partir plus tôt et retravailler le soir une fois les enfants couchés. Par exemple, aujourd’hui, j’ai enchaîné les calls entre 7h et 7h30 puis j’ai déposé les enfants à l’école et je suis allée au bureau. La pandémie et le télétravail ont aussi un peu changé les mentalités sur des points qui pénalisaient plus souvent les femmes comme le fait de devoir partir en urgence chercher un enfant à la crèche, quitter le travail plus tôt, etc. Un retour en arrière sur le télétravail, comme semblent le prôner certaines grandes banques américaines, pénaliserait les femmes.

Votre employeur, HSBC, a-t-il une politique visant à favoriser la parité au sein de son organisation ?

HSBC applique désormais une politique de parité lors des entretiens d’embauche qui n’existait pas quand je suis arrivée, il y a huit ans. C’est une bonne chose, mais en pratique, c’est compliqué. Par exemple, 80% des CV que je reçois sont des CV d’hommes. Nous avons des process plus formalisés pour le recrutement de juniors ou de stagiaires où nous essayons d’arriver à la parité lors des entretiens. Mais, en réalité, le problème se présente plus tard. Lorsque j’ai débuté, chez Morgan Stanley, nous n’étions pas loin de la parité avec mes co-stagiaires. Puis, les années passant, les femmes se font de moins en moins nombreuses avec notamment un taux de perte élevé lorsque la trentaine approche, avec l’arrivée des enfants. Aujourd’hui, à mon niveau d’expérience, j’estime que la proportion de femmes est d’environ 20% dans mon environnement. Il est courant que, dans une réunion, je sois la seule femme pour neuf hommes. Le problème, c’est que le phénomène s’auto-entretient car ce déséquilibre peut décourager les femmes qui auraient voulu continuer.

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Comment avez-vous réussi à faire partie de ces «20%» ?

J’ai la chance d’avoir un conjoint très impliqué, nous nous répartissons les tâches totalement à 50/50. Au Royaume-Uni, un congé parental partagé a été créé, ce qui m’a permis de prendre quatre mois et demi de congés à la naissance de mes enfants et mon conjoint a pu prendre trois mois. Dans le secteur de la banque, nous sommes payés 100% de notre salaire pendant cette période. Mais, en réalité, très peu d’hommes profitent de ce congé parental. Au Royaume-Uni, la plupart des femmes s’arrêtent pendant un an. Et 12 mois, c’est long dans notre métier. Plusieurs de mes connaissances sont parties un an et le retour a été compliqué pour elles. Les clients nous oublient, nous ne sommes pas au courant de ce qu’il s’est passé dans l’industrie qu’on suit… Plus tôt dans ma carrière, j’ai d’ailleurs pu expérimenter ce que coûtait une coupure d’un an à la City de Londres. Avec un peu de retard, j’ai effectué le «gap year» que font beaucoup d’étudiants d’écoles de commerce. Ça m’a pénalisée, j’ai quasiment dû repartir de zéro. Réussir dans ce secteur, notamment en tant que femme, est une question de résilience et d’intérêt pour le métier selon moi.

L’univers de la finance au Royaume-Uni me semble plus traditionnel qu’en France

L’implication de votre conjoint, qui travaille également dans la finance, a-t-elle eu un impact sur sa carrière ?

C’est difficile à dire, mais je sais qu’il se serait impliqué dans la vie familiale comme il l’a fait quoi qu’il arrive, il est comme ça. Pour notre deuxième enfant, sa N+1 était par ailleurs une femme et je sais que ça l’a aidé, elle était plus compréhensive.

Constatez-vous des différences de mentalité sur ces sujets entre la France et le Royaume-Uni ?

Oui, l’univers de la finance au Royaume-Uni me semble plus traditionnel qu’en France. Dans ce milieu, le fait que, dans un couple, la femme ne travaille pas est un symbole de prestige. Une fois, une de mes connaissances masculines s’est entendu dire : «Tu ne gagnes pas assez ? C’est pour ça que ta femme travaille ?». Quand j’ai pris mon congé maternité, j’ai ressenti que beaucoup de mes collègues s’attendaient à ce que je parte 12 mois, voire à ce que je ne revienne jamais. Leurs «au revoir» résonnaient un peu comme des adieux. Je n’ai pas le sentiment que ça soit comme ça en France. Je constate aussi qu’il y a beaucoup plus de femmes gérantes de portefeuilles en France, y compris à des niveaux très élevés. Au Royaume-Uni, je peux presque les compter sur les doigts d’une main, la proportion est maximum de 10%.

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