
Des intérêts contradictoires compliquent la décision de l’Europe sur la 5G

Après avoir longtemps tergiversé, l‘Union européenne se prépare à trancher cette semaine l’épineuse question de la participation des équipementiers chinois au déploiement des réseaux mobiles 5G. Bruxelles est confronté depuis de nombreux mois aux pressions de l’administration Trump qui voudrait rallier ses partenaires européens à sa décision d’exclure les groupes chinois de ce nouveau marché. Washington vise en particulier Huawei, en lui prêtant l’intention de vouloir utiliser ces infrastructures pour des activités d’espionnage en raison des liens supposés du groupe avec Pékin, une accusation contestée par l’entreprise. La Commission européenne présentera donc à l’intention des Etats membres un ensemble de recommandations permettant d’éviter que les réseaux 5G ne soient utilisés à des fins malveillantes.
Sans vouloir ostraciser certaines entreprises, Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur, a estimé la semaine dernière que l’UE disposait de toutes les compétences nécessaires pour un déploiement rapide de la nouvelle norme technologique. «L’Europe possède aujourd’hui plus de 50% des brevets sur la 5G, 30% sont chinois, 16% américains» a déclaré l’ex-patron de France Telecom. Il a souligné les particularités de ces réseaux qui comprendront «des milliers d’antennes intelligentes partout sur le territoire qui seront toutes des points d’entrée à protéger». Seuls une poignée d’opérateurs seront en mesure d’assurer en interne leur maintenance. En cas de recours à des sous-traitants, «s’il ne sont pas en Europe, cela posera des problèmes aux Etats», prévient-il.
Cinq à dix ans de retard
Les opérateurs télécoms de la région plaident globalement pour une inclusion de Huawei dans la liste des fournisseurs d’équipements 5G. Ils estiment que son bannissement augmenterait considérablement le coût d’installation des nouvelles infrastructures, tout en retardant le développement des services. «J’espère que ça ne va pas conduire à une exclusion de fait des Chinois et notamment de Huawei sur la scène européenne qui, je pense, serait contraire aux intérêts de l’Europe et par ailleurs poserait des problèmes importants à la plupart des opérateurs européens», a déclaré jeudi Stéphane Richard, PDG d’Orange. Les autorités allemandes ont pour leur part estimé qu’une exclusion du groupe chinois pourrait retarder «de cinq à dix ans» la mise en place des réseaux 5G outre-Rhin.
Le Royaume-Uni, qui sortira à la fin du mois de l’Union européenne, doit également se prononcer cette semaine sur le rôle de Huawei dans la mise en place des réseaux 5G sur le marché britannique. La ministre des Entreprises, Andrea Leadsom, a fait savoir jeudi que plusieurs éléments seraient pris en considération comme «la disponibilité d’autres fournisseurs» et «le travail déjà accompli par Huawei au Royaume-Uni». Le pays est en effet client de l’équipementier depuis une quinzaine d’années, ce qui n’est pas le cas des principaux opérateurs américains.
Huawei, devenu voici deux ans le premier équipementier mobile mondial, se trouve en concurrence direct avec le suédois Ericsson - dont il a pris la place - et avec le finlandais Nokia, qui tireraient tous deux parti d’une plus large interdiction. En Suisse, le groupe chinois n’a pas hésité à ouvrir à l’automne dernier, en partenariat avec l’opérateur Sunrise, son premier centre de R&D pour concevoir des applications adaptées aux besoins des entreprises et des particuliers dans la 5G. La bataille féroce qui oppose ces intervenants pèse sur la rentabilité des deux groupes européens dans une industrie pourtant oligopolistique. Si Nokia a récemment admis être en retard par rapport à ses rivaux en matière d’offre commerciale et de coûts de production, Ericsson, qui présentait vendredi ses résultats annuels, a expliqué que sa baisse de rentabilité au quatrième trimestre 2019, due à la hausse de ses investissements dans la R&D, ne remettait pas en cause ses objectifs financiers pour 2020 et 2022. Il revendique en outre «79 accords commerciaux 5G avec des opérateurs uniques et 24 réseaux 5G live [ndlr mis en service] sur quatre continents».
Bien que le groupe suédois propose une augmentation de 50% de son dividende à 1,50 couronnes par action au titre de l’exercice écoulé, les analystes de Liberum jugent que «le déploiement de la 5G qui débutera cette année sur le marché chinois pourrait encore pénaliser les bénéfices de la division réseaux d’Ericsson». L’équipementier convient d’ailleurs lui-même que «les marges initiales représentent un challenge» dans cette transition technologique. Les décisions prises à Bruxelles et à Londres seront donc scrutées par l’ensemble des parties prenantes.
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