
- Réglementation
- Tribune
Vers une SEC dans l’Union européenne : supervision unifiée ou superviseur unique ?

Plusieurs voix ont récemment évoqué la nécessité de mettre en place dans l’Union européenne une supervision unique des marchés de capitaux pour faciliter l’émergence d’une véritable Union de l’épargne et des investissements. Une telle union, permettant à l’épargne dégagée dans un État membre de l’Union de s’investir en toute confiance dans des produits développés dans un autre État membre, s’incarne dans les libertés européennes fondamentales appliquées aux services financiers. Cette ambition débouche sur la nécessité de s’appuyer sur un corpus de règles communes et sur une mise en œuvre homogène à travers une supervision unifiée. Cependant, les différences de conception apparaissent lorsqu’on entre dans le détail des acteurs couverts et des produits supervisés.
Lors de sa réunion d’avril 2024, le Conseil européen a identifié les principaux moteurs de la compétitivité de l’Union, invitant la Commission à évaluer les conditions permettant aux autorités européennes de surveillance de superviser efficacement les acteurs transfrontaliers des marchés financiers et des capitaux les plus importants sur le plan systémique. L’ambition semble moindre dans la feuille de route adressée en septembre par la présidente von der Leyen à la Commissaire, mentionnant seulement «améliorer le système de surveillance au niveau de l’UE».
Depuis 25 ans, c’est la convergence des pratiques de supervision entre superviseurs nationaux qui a été privilégiée au détriment d’une supervision centralisée.

Ce process a débuté avec le Fesco en 1998 puis a été ponctué par de nombreux rapports : rapport Lamfalussy, rapport Himalaya, puis rapport du groupe sur la supervision financière présidé par Jacques de Larosière en 2009 qui a conduit à la création du Système Européen de Supervision Financière, composé du Comité européen du risque systémique et de trois autorités européennes de supervision sectorielles (banques, assurances et marchés avec l’Esma) ; contrairement à leur dénomination, ces dernières n’ont que très peu de responsabilité de supervision, l’essentiel restant au niveau des États membres.
En 2017, lorsque la Commission européenne a proposé un renforcement des responsabilités de supervision de l’Esma, faute de consensus politique, seules des supervisions directes très limitées ont été retenues.
Une supervision fragmentée
Les résultats de ce processus coopératif restent décevants : avec de multiples superviseurs, la supervision du marché unique reste fragmentée et peu homogène. Les appels à la mise en place d’une supervision unique accompagnée par une réforme de la gouvernance de l’Esma se sont donc récemment multipliés.
Christine Lagarde a appelé à un virage kantien, préconisant la supervision par l’Esma des institutions posant des risques systémiques. Enrico Letta a proposé une approche pragmatique, suggérant une supervision directe pour les entités les plus intégrées. Mario Draghi a recommandé de commencer par la supervision des grands émetteurs et certaines infrastructures de marché. Christian Noyer a traité des infrastructures de marché et des gestionnaires d’actifs, tandis que le Conseil franco-allemand d’experts économiques a proposé une supervision directe et conjointe pour certaines activités.
Il convient toutefois de décliner ces principes de façon opérationnelle en démontrant au cas par cas les avantages d’une supervision centralisée et en précisant l’articulation avec les superviseurs nationaux.
Une supervision européenne centralisée ne se justifie que pour les activités / agents économiques qui ont une dimension systémique, c’est-à-dire dont le défaut déclencherait une crise financière, où qui ont un caractère transfrontière qui rend une supervision unique nécessaire, notamment pour éviter les arbitrages réglementaires. Cette supervision centralisée doit permettre une approche cohérente des groupes qui sont présents dans plusieurs États membres.
Pour les émetteurs dont les titres sont cotés sur un marché réglementé, une supervision unique pourrait couvrir l’information périodique qui s’effectue selon des standards communs (états financiers selon les normes de l’IASB et états de durabilité selon les ESRS) ; la surveillance de leurs marchés devrait également être centralisée afin d’avoir une approche vraiment homogène. Pour les infrastructures de marché (négociation, compensation, règlement-livraison) une supervision centralisée est justifiée pour les plus significatives qui ont une forte dimension systémique. Pour la gestion d’actifs, une supervision unique est nécessaire pour les acteurs et les produits présents dans de nombreux États membres.

Présence locale
Une supervision directe ne signifierait pas une concentration de tous les moyens de supervision en un point unique ; dans de nombreux cas une présence locale est nécessaire. Trois modèles principaux sont envisageables dans cette perspective : celui qui prévaut en matière de concurrence où les autorités nationales sont en charge mais la Commission se réserve les cas où la dimension européenne est forte ; celui du SSM (Single Supervisory Mechanism) où les banques les plus importantes, ou dont l’activité est transfrontière, sont sous supervision directe de la BCE avec l’aide des superviseurs nationaux et où les autres établissements de crédit sont sous une supervision nationale coordonnée par la BCE ; la création de bureaux locaux de l’Esma a également été évoquée. Un mixte des deux premiers modèles en fonction des domaines de supervision semble préférable.
S’agissant de la gouvernance, ce qui a été retenu pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (Amla) où les décisions de supervision sont prises à la majorité́ simple par les six membres du Conseil exécutif, semble le plus efficace.
Une mise en place rapide est possible
La recherche d’une convergence entre les superviseurs nationaux a rapproché les pratiques de supervision mais a montré ses limites ; l’Union de l’épargne et des investissements a besoin d’une supervision unique s’appuyant largement sur les moyens des superviseurs nationaux. Les grandes infrastructures de marché et les grands gestionnaires d’actifs sont les premiers candidats en mettant en œuvre une supervision au niveau groupe ; une surveillance centralisée des marchés pour lutter contre les abus de marché est également prioritaire. Si, au-delà des affirmations de principe, la volonté politique se concrétise, cela peut rapidement être mis en place. Le debate paper récent de l’AEFR (accessible ici) vise à contribuer à cette dynamique.
Plus d'articles du même thème
-
Le nouveau dilemme européen du déploiement de Bâle 3
Sans parler de retour en arrière ou de dérégulation, l’Europe semble désormais consciente d’être allée plus vite et plus loin que les autres juridictions en matière de règlementation bancaire. L’optimisation des règles qui restent encore à produire dans le cadre de la transposition du dernier paquet bancaire de Bâle 3 et de la mise en œuvre de la FRTB cristallise l’attention du secteur. -
Thomas Verdin (BM&A Reg Tech) : «L’application des règles de Bâle a un coût opérationnel important»
La finalisation des règles de Bâle obligera les banques, qui étaient habilitées à n’utiliser que des méthodes internes de mesure des risques, à comparer ces résultats avec une méthode dite standard, à partir de données externes. Thomas Verdin, directeur associé de BM&A Reg Tech, explique simplement quelles sont les implications opérationnelles de ces changements. -
Le Parlement européen vote un report de CSRD
Le Parlement européen a voté le report des dates d’application des nouvelles législations de l’UE sur le devoir de vigilance et la publication d’informations en matière de durabilité pour certaines entreprises.
Sujets d'actualité
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions