Le nouveau dilemme européen du déploiement de Bâle 3

Sans parler de retour en arrière ou de dérégulation, l’Europe semble désormais consciente d’être allée plus vite et plus loin que les autres juridictions en matière de règlementation bancaire. L’optimisation des règles qui restent encore à produire dans le cadre de la transposition du dernier paquet bancaire de Bâle 3 et de la mise en œuvre de la FRTB cristallise l’attention du secteur.
La Commission européenne
La Commission européenne hésite sur la marche à suivre concernant la mise en œuvre de la FRTB.  -  Claudio Centonze/EU//Claudio Centonze

Le socle est solide, il ne faudrait pas le fragiliser. Pour autant, à trop vouloir sécuriser les banques européennes, les exigences réglementaires trop élevées les empêchent d’avancer. Le travail d’ajustement qui attend l’Europe, au cœur duquel se trouvent la transposition du dernier paquet bancaire des accords de Bâle 3 et le report de l’application des règles relatives aux risques de marché - ou revue fondamentale du trading book (FRTB) - est vaste.

L’équilibre entre sécurisation et acceptation du risque est une question complexe que l’Europe a bien du mal à trancher alors que la question de la compétitivité européenne préoccupe désormais davantage. Le paysage géopolitique mondial s’est complètement transformé en l’espace de six mois.

Côté banques, la position de la place est simple : les accords de Bâle apportent une réponse équilibrée si, et seulement si, tout le monde joue le jeu. Or aujourd’hui, les Etats-Unis semblent bien moins enclins à se prêter à l’exercice et le Royaume-Uni a fait le choix de l’attentisme.

Consultation sur la FRTB

«Bâle 3 a été négocié sous la pression américaine, et nous a conduits à l'époque à des concessions que nous ne ferions peut-être plus aujourd’hui», estime Lorenzo Bini Smaghi. Le président de la Société Générale s’exprimait le 3 avril lors d’une conférence organisée par l’Association Europe Finances Régulation (AEFR).

Consciente qu’elle est peut-être allée plus vite et plus loin que les autres grandes juridictions mondiales en matière de régulation bancaire, la Commission européenne a donc lancé fin mars une consultation express jusqu’au 22 avril. Bruxelles entend déterminer la meilleure approche d’application des règles prudentielles pour le risque de marché dans les banques. Le report d’un an, portant à janvier 2026 la date d’application de la FRTB au sein de l’UE, décidé l’année dernière ne semblant déjà plus suffisant compte tenu de la position toujours très floue des Etats-Unis et du Royaume-Uni sur le sujet.

Ainsi trois options sont sur la table : mettre en œuvre la FRTB telle qu’elle est actuellement prévue dans le paquet bancaire dès janvier 2026, reporter la date d’application à janvier 2027, ou introduire des modifications temporaires et ciblées au cadre de gestion des risques de marché pour une durée maximale de trois ans. La Commission reste in fine décisionnaire.

De l’avis de la plupart des observateurs du secteur, l’exécutif européen pencherait plus vraisemblablement pour un report afin de se laisser le temps de voir comment les choses évoluent au sein des autres juridictions. Toutefois il ne faudrait pas que ce jeu conduise à un attentisme général finalement délétère pour le secteur bancaire.

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Renforcer le dialogue avec la place

«Ce que demandent les banques est un système allégé avec plus de proportionnalité, reconnaît Thomas Verdin, directeur associé BM&A en charge du reporting réglementaire. Ce n’est pas une demande injustifiée dans le sens où la directive européenne sur les fonds propres réglementaires (CRD) impose quasiment les mêmes règles aux 6.300 banques de l’espace européen, qu’il s’agisse du crédit municipal local ou d’une banque systémique». Pour l’expert en régulation, «il est important de redonner toute son importance au dialogue entre les autorités européennes prudentielles et de régulation et les banques.»

D’autant que le paysage bancaire européen reste hétérogène. «Il faut bien comprendre que derrière la question de la compétitivité des banques européennes existent différents cas de figure au sein de l’Union», souligne François-Louis Michaud, directeur général de l’EBA, invité de l'événement Banques 2030 organisé par L’Agefi le 27 mars. Le problème des grandes banques françaises confrontées à la concurrence des géants américains sur les marchés de capitaux, n’est pas celui de la multitude de petites et moyennes banques allemandes qui ploient sous le poids du reporting, ni celui du marché bancaire italien en quête de consolidation.

Moyens d’action limités

Reste que les leviers d’action de la Commission sont somme toute limités. «La Commission ne peut faire que des règlements et n’a pas d’autres leviers d’action, pointe un acteur du secteur. Pour revenir sur une réglementation, il faut en créer une nouvelle».

Pour un autre observateur, «avant de modifier des règles par d’autres règles, il serait bon d’interroger d’abord le besoin de financement et l’effet de ces règles imposées aux banques sur ce besoin. Augmenter les exigences en fonds propres n’est peut-être pas la réponse à tout

Par ailleurs, «même si des mesures transitoires sont prévues, elles ont été définies au début des travaux de transposition européenne de l’accord bâlois et ne permettent pas de tenir compte des changements conjoncturels actuels. Attention donc aux programmes trop rigides. Il faut raison garder en matière d’intelligence de mise en œuvre», estime pour sa part Thomas Verdin.

Pas de rétropédalage possible

Pour l’Autorité bancaire européenne, le paquet bancaire en général et FRTB en particulier restent très utiles et participent de la solidité du système. «Cela permet de répondre à toute une série de limites et de faiblesses mises au jour lors de la crise financière de 2008», indique François-Louis Michaud.

La position assez claire et partagée au sein de l’UE qu’il s’agisse des parlementaires, des Etats membres ou des autorités, est qu’il n’y aura pas de rétropédalage. «Ces règles qui certes peuvent paraître lourdes nous ont permis de bâtir un système résistant. L’économie européenne étant ce qu’elle est, c’est-à-dire un peu moins dynamique que sa concurrente d’outre Atlantique, a besoin de ces sécurités», estime encore le directeur général de l’EBA.

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Pour autant le régulateur n’est pas fermé à l’optimisation des règles pour les rendre plus efficaces. «Nous avons réussi à renforcer collectivement la solidité du secteur qui a montré ses capacités à absorber les chocs depuis sept ans. La Commission et l’EBA ont également pris en compte la question de l'égalité des conditions de concurrence avec le report des règles de FRTB malgré les difficultés pratiques que cela peut poser aux banques. Et il est tout à fait opportun désormais de se poser la question du design de l’ensemble du système de régulation, de son exercice et de sa calibration», déclare François-Louis Michaud.

Parmi les réflexions sur la table, la modification de la CRR pour simplifier le recours à la titrisation. Mais, là encore, vigilance. «Ouvrir plus largement les possibilités de transferts de risque à d’autres acteurs moins supervisés n’est pas forcément un bon calcul, prévient Thomas Verdin. Cela n’efface en rien le risque mais le déporte simplement sur d’autres acteurs, qui plus est, moins régulés.»

Quoi qu’il en soit, lâcher du lest n’est pas capituler. Sans renoncer à l’objectif global de sécurisation et de meilleure répartition des fonds propres pour couvrir les risques opérationnels, de crédit et de marché, l’Europe peut trouver une voie qui prend mieux en compte les évolutions conjoncturelles et juridictionnelles mondiales.

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