Quel régime de croissance pour demain ?

Les ressorts traditionnels de la croissance pourraient être inopérants en raison du caractère inflationniste de la transition écologique, et de la faible productivité des investissements qu’elle suppose, estime Isabelle Job-Bazille, directrice des études économiques du Groupe Crédit Agricole.
Crédit Agricole
Isabelle Job
Isabelle Job-Bazille  - 

Sur le long terme, la croissance peut se nourrir de l’accumulation des facteurs de production, le travail et le capital, sur une base extensive en alimentant le dynamisme de la demande (investissement, notamment en logement et consommation). À cet égard, l’offre de travail est corrélée à la taille de la population active, elle-même fonction des évolutions démographiques, lesquelles conditionnent donc en partie les potentialités de croissance future. Notre capacité à générer de la croissance sur le long terme dépend également de l’efficience des processus productifs et donc de la manière de combiner le plus efficacement possible les facteurs de production. Ces gains de productivité, à l’origine d’une croissance de nature intensive, sont intimement liés aux innovations et aux progrès techniques.

Aujourd’hui, le monde vit une double révolution, digitale et verte, de quoi susciter les espoirs d’un renouveau de croissance grâce aux retombées attendues en termes de productivité, à l’instar de ce que l’on a pu observer lors des révolutions industrielles passées. Pourtant, il n’est pas certain que ces ruptures technologiques réussissent à inverser la tendance lourde à l’épuisement des gains de productivité tandis que d’autres facteurs structurels pourraient peser sur la croissance tendancielle de long terme.

Coûteuse décarbonation

Face à l’urgence climatique, il est indispensable de revoir nos organisations économiques, nos modes de vie, de production et de consommation pour réduire notre empreinte carbone. Ces grandes transformations sont synonymes, à l’échelle planétaire, d’une révolution industrielle verte pour remplacer ou adapter le capital existant et les systèmes productifs à base d’énergies fossiles. La révolution verte, à la fois indispensable et désirable, va provoquer un boom d’investissement et donc de demande à même de doper la croissance à court terme. Cependant, décarboner l’énergie, les équipements et les usages va coûter cher sans que ces investissements aient nécessairement le pouvoir de rehausser la productivité sur le long terme.

Par ailleurs, cette transition écologique est source d’inflation. La fin annoncée des énergies fossiles et la mise en place d’une fiscalité carbone, sans doute incontournable pour aiguillonner les changements de comportement, vont renchérir les prix des produits carbonés. Le chemin vers la neutralité carbone devrait aussi faire grimper le prix des énergies renouvelables mais aussi de tous les matériaux et métaux critiques nécessaires à l’électrification des procédés industriels et des usages. Ce sacrifice en matière de prix et de pouvoir d’achat va peser sur la demande et donc sur la croissance, même si les incidences économiques pourraient être en partie atténuées par des politiques de redistribution adaptées de manière à compenser les perdants.

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Il faut dès lors parier sur la technologie émergente de l’intelligence artificielle qui pourrait être ce facteur accélérateur de productivité tant attendu. Cependant, la révolution du numérique, qui a suscité les mêmes espoirs de renaissance économique, n’a pas délivré ses promesses de croissance, avec une diffusion à large échelle lente et insuffisante pour augmenter le niveau de productivité globale. En fait, si la révolution du numérique, et demain celle de l’intelligence artificielle, transforment en profondeur nos structures économiques, elles introduisent un biais de structure en faveur d’activités faiblement productives. En effet, les secteurs à productivité élevée comme l’industrie, là où les machines remplacent les humains, ont bien du mal à compenser le développement des activités de services riches en emplois. Le redéploiement de la main-d’œuvre vers des services de proximité est, dans certains cas, synonyme d’ubérisation avec des emplois de faible qualité, plus précaires et mal payés, pas de quoi soutenir le pouvoir d’achat et la consommation.

Il convient également de ne pas sous-estimer les effets de longue traîne des chocs successifs sur la croissance potentielle. Les crises ont sans doute abîmé de façon durable les facteurs de production avec à la fois une destruction du capital productif, un retard d’innovation et une dépréciation du capital humain, lesquels vont peser sur les rythmes de productivité futurs.

Par ailleurs, la Chine, la locomotive mondiale, est en panne de croissance. Difficile de faire évoluer le régime de croissance basé sur une production intensive en main-d'œuvre et sur l’attraction de technologies vers une économie axée sur l’innovation tirée par la consommation intérieure et le développement des services, au moment où le durcissement idéologique et le resserrement réglementaire qui va avec induisent une double crise, immobilière et de confiance. Plus largement, le fléchissement de la population active à l’échelle mondiale, sur fond de ralentissement démographique, risque de freiner durablement la croissance de nature extensive liée à l’augmentation de la quantité de travail disponible.

Enfin, la fragmentation géopolitique dans le contexte de rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis, est synonyme de fragmentation économique avec une reconfiguration des échanges internationaux et des flux d’investissement directs qui, selon le FMI, vont induire un coût pour la croissance mondiale.

Difficile donc d’imaginer de nouveaux ressorts de cette croissance matérielle, considérée comme l’alpha et l’oméga de notre prospérité. Néanmoins, c’est sans doute le concept même de croissance qui doit être revisité pour inventer de nouvelles métriques, afin de mesurer le caractère durable et inclusif d’un nouveau régime de croissance plus écoresponsable.

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