
Olivier Blanchard: «Il faudra augmenter les impôts ou diminuer certaines dépenses»

Quelle est votre vue sur le caractère structurel de l’inflation ?
Comme prévu, le stimulus budgétaire a provoqué une surchauffe de l’économie américaine mais le mécanisme de formation de l’inflation a été différent de ce que je pensais. Ce sont les prix des biens qui ont démarré le processus, et non les salaires, les entreprises s’étant retrouvées à court de moyens en raison des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, une situation exacerbée par la forte demande de biens au détriment des services. Les Etats-Unis ont ensuite transmis ces tensions inflationnistes au reste du monde, dont l’Europe, indirectement au travers des prix des matières premières, tensions désormais accentuées par la crise en Ukraine. Je n’ai pas de doute sur la capacité de la Fed et de la BCE à faire ce qu’il faut pour ramener l’inflation à un niveau plus bas. L’inflation ne sera pas un phénomène permanent. Le timing peut bien sûr être plus ou moins long, mais l’inflation sera réduite d’ici un ou deux ans à des niveaux beaucoup plus bas. Une partie de la baisse sera liée aux effets de base car certains prix vont diminuer, mais l’inflation ne baissera pas d’elle-même aux niveaux des cibles des banques centrales, à 2%. Ces dernières pourraient alors décider de s’arrêter dès que l’inflation descendra à 3% ou 4%. Mais jusqu’à ce niveau, elles feront ce qu’il faut.
Pensez-vous toujours que le bon niveau d’inflation est 4% ?
Non, car à 4%, l’inflation devient un sujet d’inquiétude dans l’esprit des gens. A 3%, on parle moins de l’inflation. Ce niveau me paraît plus raisonnable.
Les Etats-Unis et la zone euro ne sont pas aussi avancés dans le cycle. Cela crée-t-il une différence de politique monétaire ?
Il y a en effet une différence importante. L’économie américaine est réellement en surchauffe car la boucle salaires-prix est bien enclenchée et les taux d’intérêt réels sont assez négatifs. Ce n’est pas une situation où l’économie va ralentir d’elle-même. A moins qu’il y ait un choc du type d’une récession majeure en Chine, qui entraînerait une forte baisse du prix des matières premières. Ce qui serait un cadeau aux Etats-Unis et à l’Europe. Par ailleurs, l’effet de la consolidation budgétaire, très forte, est largement annulé par le montant abondant d’épargne accumulé pendant la crise sanitaire. Les annonces de la Fed ont déjà déclenché un ajustement à la baisse sur les marchés actions. Mais l’on sait qu’il faut du temps entre le moment où l’on resserre les conditions financières et la traduction de ces décisions dans l’économie réelle. Il peut y avoir une période instable pendant laquelle la Fed augmente ses taux et l’économie reste en surchauffe.
L’économie américaine peut-elle échapper à la récession si la Fed doit ramener l’inflation vers sa cible ?
La Fed va essayer de faire atterrir l’économie en douceur. Mais ce n’est pas évident. Il faut arriver à diminuer le taux de croissance, qui doit rester positif, sous le potentiel, avec des instruments qui fonctionnent avec peu de précision. La probabilité de récession est non négligeable même si la stratégie de la Fed est de l’éviter. Il se peut toutefois, si l’inflation ne diminue pas assez, que la banque centrale américaine n’ait pas d’autre choix que de la provoquer.
Que pensez-vous du chemin pris par la BCE ?
En Europe, la situation est différente. Il n’y pas de surchauffe, ni de tensions salariales, pour le moment. Il y a une chance pour que la demande diminue, en raison de la baisse des revenus réels, sans que la BCE ait besoin d’augmenter fortement les taux. La BCE fait donc ce qu’il faut, jusqu’à maintenant.
Y a-t-il un risque de fragmentation de la zone euro ?
C’est le principal souci aujourd’hui de la BCE. Si les investisseurs décident que l’Italie est au bord du gouffre et réclament par exemple des spreads de 400 points de base [pb], le pays serait dans une situation intenable. Or la seule institution pouvant agir pour l’empêcher est la BCE. Je ne pense pas que l’Italie a aujourd’hui un problème de soutenabilité de sa dette. Toutefois, en cas de dérapage des spreads, il sera compliqué pour la BCE, politiquement et du point de vue de son mandat, d’intervenir avec suffisamment de moyens. Nous risquons d’avoir devant nous des mois compliqués, avec des discussions tendues au sein du Conseil.
Dans ce contexte, comment les enjeux climatiques et de sécurité en Europe pourront-ils être financés ?
Outre la question du changement climatique et la hausse à venir des dépenses militaires dans le contexte géopolitique dégradé que nous connaissons en Europe, les gouvernements vont devoir faire face à un autre enjeu majeur, qui est celui de la réduction des inégalités. Ce nouveau monde, avec des Etats plus présents, risque d’entraîner 2 à 3 points de PIB de dépenses publiques supplémentaires chaque année. Il n’est pas tenable de les financer complètement par les déficits et la dette de façon pérenne. Il faudra donc nécessairement augmenter les impôts ou diminuer d’autres dépenses. C’est loin d’être évident.
Quelle serait la meilleure règle budgétaire pour l’Union européenne ?l
Il n’y a pas de règle simple pour un problème d’une telle complexité. La dynamique de la dette dépend de tout une série de facteurs, difficiles à mettre dans une règle, surtout une règle simple. J’ai proposé la mise en place d’un cadre d’analyse de soutenabilité des dettes dans lequel on regarderait la dynamique de la dette sous incertitude afin d’en définir les dangers, comme le font les agences de notation. Mais les dirigeants européens veulent des règles explicites. Il me semble que l’on se dirige vers un maintien de la règle des 3% de déficit public et 60% de dette publique pour satisfaire les faucons, comme symbole, mais en supprimant les règles sur la rapidité des ajustements. Pour satisfaire les colombes, on mettrait en place des plans de financement du type Next Gen EU comme cela a été fait pour le Covid mais cette fois pour la transition énergétique, ou l’Ukraine, ou la prochaine crise…
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