
Les rachats d’actions, une possible bombe à retardement

La revue trimestrielle de la Banque des règlements internationaux (BIS/BRI) a confirmé lundi que la reprise économique restera fragile, malgré l’optimisme de marchés boursiers soutenus depuis avril par les politiques monétaire et budgétaire, notamment du fait de la détérioration des bilans d’entreprises avant même la crise liée au Covid-19.
Une étude spécifique qui accompagne le rapport fait le lien entre les rachats d’actions et l’effet de levier des entreprises concernées, concluant que les premiers affectent les performances et la résilience financières principalement par le biais d’un effet de levier accru.
Les «buy-backs» ont vu leurs montants tripler au point de devenir un moteur des marchés boursiers puisqu’ils ont pesé plus de 800 milliards de dollars par an pour les entreprises américaines non financières en 2018 et 2019. Avec deux risques potentiels, explique l’auteur, Sirio Aramonte : que les dirigeants les utilisent pour augmenter artificiellement les cours et leurs rémunérations variables – même si la pratique tend à diminuer – et que ces rachats fassent augmenter l’effet de levier à des niveaux «excessifs». Ils deviendraient alors un sujet politique et de stabilité financière si cette fragilité devait impliquer une aide publique accrue.
Ces distributions peuvent dans certains cas soutenir les cours en signalant des sous-valorisations ou en permettant des gains fiscaux (par rapport aux distributions de dividendes), mais elles peuvent aussi nuire à la valeur des entreprises à long terme. Par exemple, une entreprise avec 100 dollars d’actifs, 30 de dettes et 70 de capitaux propres, verrait son effet de levier passer de 30% à 33% avec un rachat de 10 financé par la vente d’actifs ou à 40% avec un rachat de 10 financé uniquement en nouvelle dette.
Charges financières
Pratiquement toutes les entreprises américaines qui ont procédé à des rachats ont également levé des fonds auprès d’investisseurs la même année, souvent par une combinaison d’actions et de dette, et dans 25% des cas uniquement par de la dette en 2019. Cela a mécaniquement augmenté leur levier, et potentiellement leurs charges financières dans les périodes de difficultés à venir, du fait d’une moindre capacité à dicter les prix («pricing power») sur leurs futures émissions de dette et/ou d’un risque de défaut plus élevé
L’étude montre ainsi que bilans et leviers des entreprises américaines ont augmenté plus vite que les fonds propres à partir de 2013, du fait d’un usage accru des «buy-backs» pour les plus endettées. Ceci n’a pas eu trop d’incidence sur leurs investissements, ni sur leurs rendements boursiers en temps normal, mais en a beaucoup plus en période de stress, comme depuis mars, quand la qualité de crédit revient sur le devant de la scène. Au bout du compte, avec la crise actuelle, les actions des entreprises fortement endettées (avec ou sans rachats préalables) ont perdu sensiblement plus que les entreprises à faible endettement, mais celles qui, parmi ces dernières, avaient fait des rachats ont aussi plus souffert car elles s’étaient ainsi affaiblies.
«L’accent mis sur les résultats à court terme pourrait conduire les dirigeants et les actionnaires à ne pas tenir compte des coûts dans les périodes de difficulté et à long terme, surtout s’ils sont supportés par les créanciers, les salariés ou le secteur public», conclut l’auteur, appelant les investisseurs et décideurs politiques à être conscients des risques associés à ces rachats.
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