Le pilotage à vue des banques centrales

En renonçant à guider les anticipations des investisseurs, la BCE et la Fed ont réveillé la volatilité. Gare aux secousses sur les marchés de taux.
Alexandre Garabedian
Alexandre Garabedian
Alexandre Garabedian, directeur de la rédaction de L’Agefi.  - 

«Si vous pensez avoir compris ce que j’ai dit, c’est que je me suis mal exprimé.» Peu importe que cette citation attribuée à Alan Greenspan soit apocryphe. Elle illustre bien ce que fut, jusqu’au milieu des années 2000, la politique de communication a minima des banques centrales, qu’incarnait l’ancien président de la Réserve fédérale américaine. La culture du secret a cédé le pas au mantra de la transparence, à mesure que la politique monétaire étendait son emprise sur les marchés financiers. Conférences de presse, discours et déclarations, publication des comptes-rendus de réunion, fuites savamment orchestrées dans les médias : pas un jour ou presque sans que l’humeur des banquiers centraux n’infuse dans l’actualité économique. Mais, ces derniers mois, la Banque centrale européenne et la Fed ont effectué un pas en arrière lourd de conséquences, en renonçant à guider par avance les anticipations des investisseurs.

La forward guidance a vécu. La BCE en avait fait officiellement l’un des outils de son arsenal monétaire à partir de l’été 2013. A l’époque, c’est la menace déflationniste qu’il s’agissait de conjurer en posant que les taux d’intérêt seraient maintenus à un bas niveau pour une période prolongée. Le choc d’inflation actuel a eu raison de ce pilotage des anticipations. Il est désormais admis que les banques centrales ont échoué à apprécier la nature et l’ampleur du phénomène, même si la guerre en Ukraine ne leur a pas facilité la tâche. Jugeant les hausses des indices de prix transitoires, elles se sont laissé enfermer dans le calendrier très cadencé de leur forward guidance.

En zone euro, la BCE s’en tenait encore en juin à l’arrêt de son programme d’urgence pandémique, puis à celui de son programme ordinaire d’achats d’actifs, avant d’envisager une première hausse de taux, pendant que l’inflation affolait mois après mois les compteurs. Il lui a fallu, dès juillet, procéder à un tour de vis deux fois plus fort que prévu. Même punition pour la Fed, qui a chaussé tardivement ses bottes de sept lieues pour rattraper l’écart avec les anticipations du marché obligataire.

Désormais, les banques centrales calent leur action en fonction des statistiques macroéconomiques. La forward guidance tendait à écraser la volatilité ; le pilotage à vue la réveille. Les créations d’emplois aux Etats-Unis sont meilleures que prévu ? Un cran de hausse supplémentaire est aussitôt intégré dans les contrats futures pour la prochaine réunion de la Fed. Les chiffres de la croissance déçoivent les attentes ? Les obligations font le chemin inverse. Taux courts et taux longs connaissent des coups d’accordéon quotidiens que l’on n’avait plus vus avec une telle fréquence depuis la crise de la zone euro. Il va falloir s’y habituer.

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