
Visible, mais pas trop

N’avez-vous jamais éprouvé ce sentiment contradictoire de vouloir à la fois être passe-partout et vous faire remarquer ? C’est l’un des paradoxes que vivent souvent les femmes qui travaillent dans des milieux masculins, comme la finance. Et cela est source de tiraillements internes.
Almudena Cañibano, professeure à l’ESCP, a répertorié trois types de contradictions de ce type dans une étude qu’elle a présenté mi-novembre lors d’une conférence de la chaire Women in Finance lancée en 2023 par l’école de commerce parisienne. Selon le paradoxe de “la visibilité et de l’invisibilité”, «les femmes ont souvent l’impression qu’elles doivent se rendre invisibles, car leur corps et leurs caractéristiques féminines peuvent être perçus comme des signes de vulnérabilité ou une faiblesse. Cela peut les conduire à rester modestes ou discrètes », explique Almudena Cañibano. « La littérature montre par exemple que les femmes adaptent leurs vêtements ou leurs comportements pour s’aligner aux normes masculines. Elles se dissocient des femmes qui affichent leur féminité. Elles cachent les manifestations féminines du corps - comme la grossesse, l’allaitement ou la ménopause - autant que possible ». La professeure cite l’exemple d’Elizabeth Holmes, la fondatrice de Theranos – qui n’est certes pas un rôle modèle puisqu’elle a été condamnée pour fraude – qui a rendu sa voix plus grave de manière consciente, pour paraître plus masculine, et s’habillait tout en noir à la manière de Steve Jobs.
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«De l’autre côté, dans les environnements dominés par les hommes, les femmes ont le sentiment qu’elles doivent être hautement visibles pour être acceptées et reconnues. Elles doivent souvent faire plus d’efforts que les hommes pour prouver leurs compétences, être remarquées et avancer dans leurs carrières. Les études montrent par exemple que pour que leurs idées soient entendues et retenues dans les réunions, elles doivent les exprimer plus fort et les répéter», relève Almudena Cañibano. « Cette dualité entre devenir moins visible et être plus visible crée une tension constante dans leur carrière».
Risque d’auto-censure
Le deuxième paradoxe auquel se confrontent les femmes est celui des compétences techniques/sociales. « Elles doivent souvent démontrer qu’elles ont des connaissances techniques supérieures à leurs collègues masculins pour avancer. Mais lorsqu’elles insistent sur ces compétences, elles peuvent être perçues comme ne se conformant pas aux stéréotypes de genre. Et cela entre en conflit avec les attentes selon lesquelles elles doivent disposer de caractéristiques telles que la gentillesse ou des comportements maternels », indique Almudena Cañibano.
La troisième contradiction concerne les attentes selon lesquelles les femmes doivent être à la fois pleinement engagées dans leur travail et pleinement engagées dans leur vie personnelle. « Cette tension vient des pressions de la société et culturelles, qui attendent que les femmes excellent dans leur rôle traditionnel de femme au foyer, comme la maternité et la gestion de la maison… Mais elles doivent aussi être conformes au travailleur idéal dans les domaines dominés par les hommes : engagement total et dévotion au travail», observe la professeure.
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Cette contradiction est tellement ancrée qu’elle peut pousser des femmes à s’auto-censurer. Ainsi, certaines d’entre elles décident de changer de carrière ou s’empêchent d’accéder à des promotions, avant même d’avoir une famille, selon une étude. «Ce n’est pas la contradiction elle-même qui les fait choisir, c’est l’attente qu’elles vont devoir vivre cette contradiction - un phénomène que nous observons dans nos conversations avec les femmes en finance», déplorait Almudena Cañibano.
Pour la professeure, mieux gérer les paradoxes auxquels les femmes font face au travail suppose de prendre le problème dans sa globalité. Par exemple, les entreprises qui proposent aux femmes de congeler leurs ovocytes ou celles qui offrent plus de souplesses en termes d’horaires aux femmes ne s’attaquent qu’à une partie du problème, et ne font reposer la solution que sur les femmes alors qu’il faut aussi impliquer les hommes.
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