
La reine des abeilles, seule parmi les hommes

Connaissez-vous le Queen Bee phenomenon, ou phénomène de la reine des abeilles en bon français ? Jusqu’à récemment, moi non plus. J’ai découvert ce terme après qu’une lectrice d’Ambitions m’a alerté sur une pratique qui, selon elle, serait assez répandue dans l’univers de la finance. Elle affirme avoir constaté, avec plusieurs collègues et dans plusieurs banques, que les quelques femmes parvenant tout en haut de la hiérarchie ont souvent tendance à bloquer délibérément l’ascension d’autres femmes au profit d’hommes parfois moins compétents. Le thème n’est pas très politiquement correct et va à l’encontre de l’idée – que j’ai moi-même défendue dans un précédent billet – que lorsqu’une femme réussit, les autres aussi, par effet d’entraînement et grâce au rôle de modèle qu’elle joue.
Ce témoignage aurait pu rester au niveau de l’anecdote, digne d’une discussion de machine à café, mais il a résonné avec une expérience que j’ai observée personnellement, m’incitant à pousser l’investigation un peu plus loin. Et quelle ne fut pas ma surprise en constatant que ce phénomène faisait l’objet d’une abondante littérature scientifique sous le nom, donc, de Queen Bee phenomenon.
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Dans le déni
Cette métaphore a été utilisée pour la première fois dans un article scientifique en 1974 et a depuis été reprise dans des dizaines d’études. «Elle illustre un phénomène selon lequel les femmes qui ont gravi les échelons dans un univers professionnel masculin, tel celui de la finance, sont susceptibles d’adopter des attitudes défavorables aux autres femmes», m’explique Catherine Esnard, chercheuse en psychologie sociale à l’Université de Poitiers. Selon elle, il n’est pas lié au caractère de certaines femmes mais «s’enracine dans les difficultés, les discriminations qu’elles ont rencontrées au cours de leur carrière» et ne s’observe d’ailleurs pas ou peu dans les milieux où l’égalité de genre est largement respectée.
«Ces femmes «Queen Bee» manifestent généralement des caractères dits masculins, marquent une distanciation vis-à-vis des autres femmes auxquelles elles ne veulent pas être assimilées et ont tendance à légitimer la hiérarchie de genre en s’opposant aux politiques actives en faveur des femmes ou en justifiant la réussite par la méritocratie», analyse Catherine Esnard. Les «Queen Bee» afficheraient ainsi une posture de déni vis-à-vis des discriminations de genre, ce qui rend d’autant plus compliqué un changement des attitudes.
Ce n’est pas pour autant une fatalité, et, heureusement, toutes les femmes de pouvoir ne se voient pas comme des reines dans leur ruche. Je suis d’ailleurs tombé par hasard sur un contre-exemple parfait, datant de bien avant #meetoo. Dans son livre Les femmes, les banques et l’argent, publié aux éditions L’Harmattan, Sylvie Gautier rapporte qu’en 1927, une certaine Louise Tallerie prend la tête de la Caisse régionale des Ardennes et devient la première femme à occuper une fonction de direction au sein du Crédit Agricole. Elle mettra alors en place «une politique de gestion du personnel particulière, en privilégiant le recrutement de femmes». Une reine de sororité.
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