Philippe Garin: «Le marché ne valorise Korian qu’à un tiers de sa valeur»

Le directeur financier de Korian revient pour L’Agefi sur les conséquences de la crise que le groupe traverse, avant son assemblée générale du 22 juin.
Bruno de Roulhac et François Schott
Philippe Garin, directeur financier de Korian
Philippe Garin est le directeur financier de Korian, le premier groupe français de maisons de retraite privées.  -  photo Korian.

L’Agefi : Comment réagissez-vous aux annonces par voie de presse de dépôt de plaintes de familles ?

Philippe Garin : A ce jour, nous n’avons aucune information sur le contenu de ces plaintes éventuelles. En février, la même avocate avait dit devant l’Assemblée nationale disposer de 500 signalements, et à ce jour, par voie de presse, seules trois familles indiquent vouloir déposer plainte. Ce sont des dossiers que nous connaissions depuis longtemps. Nous comprenons leur peine et regrettons cette rupture du dialogue. Plus largement, nous n’avons pas attendu la crise actuelle du secteur pour mettre en place des procédures internes rigoureuses de contrôle et d’alerte. Dès qu’il y a des difficultés, nous intervenons et les signalons par ailleurs aux autorités compétentes. De plus, nous avons un médiateur indépendant, en place depuis 2021, qui est là est pour écouter les familles en souffrance et proposer les réparations.

Quel est l’impact de cette crise des Ehpad sur vos comptes et sur votre activité ?

Cette crise elle-même n’a pas d’impact direct sur l’activité de nos établissements. En revanche, nous n’avons pas encore retrouvé, à l’échelle européenne, le niveau d’activité qui prévalait avant l’épidémie de Covid pour les maisons de retraite, avec un taux d’occupation moyen autour de 87% et qui s’améliore très progressivement. Avec le contexte nouveau de l’inflation, nous anticipons pour les années à venir une stabilisation du taux d’Ebitdar [Ebitda avant loyers] entre 25% et 26%, contre 24,9% en 2021 et 27% quelques années plus tôt. Si nous espérons arriver à répercuter à 95% l’inflation sur les matières, les importantes hausses salariales réalisées pèseront nécessairement sur le taux de marge.

Allez-vous alors infléchir votre stratégie ?

Nous nous renforçons fortement dans les activités sanitaires – soins de suite, prise en charge ambulatoire, en réponse aux enjeux de santé publique. Par ailleurs, dans un contexte de taux qui reste favorable, nous accélérons notre détention du foncier. Actuellement, nous détenons 25% de notre parc immobilier. Sans nous fixer d’objectifs de progression à moyen terme car, parallèlement, nous développons notre parc avec des extensions de site [greenfield] et par des acquisitions, nous pourrions monter à 30%. Notre portefeuille immobilier, de 3,2 milliards d’euros fin 2021, devrait passer à 4 milliards d’euros dans deux ans et à 5 milliards à moyen terme.

Qu’avez-vous modifié avec cette crise sectorielle ?

Notre secteur a dû faire face à des défis et crises sans précédent ces deux dernières années. La première, celle du Covid, nous a appris beaucoup de choses. Nous avons construit un dialogue social qui est bien meilleur aujourd’hui qu’auparavant à tous les niveaux. Nous avons également beaucoup renforcé la relation avec les familles, et notre ancrage dans les territoires, parfois sous la pression médiatique qui nous a poussés à nous améliorer sur ce point. Le choc sectoriel créé par la parution du livre Les Fossoyeurs début 2022 nous encourage à amplifier et à accélérer ces changements, notamment en termes de transparence et d’information. Nous publions déjà de nouveaux indicateurs clés sur la qualité des soins, les relations avec les familles. Dans un marché du travail plus que tendu, nous misons plus que jamais sur la promotion professionnelle, avec 10% de nos salariés en formation qualifiante. Et nous venons de lancer, Korus, le premier plan d’actionnariat salarié du groupe.

La cotation n’est-elle pas devenue un handicap, avec une chute de 50% de l’action sur un an ?

Depuis février, nous pâtissons en effet lourdement de l’effet médiatique autour du livre Les Fossoyeurs, et le marché ne nous valorise de fait qu’à un tiers de notre valeur. Cela étant, nos activités sont des activités de long terme, plus que jamais essentielles, dans lesquelles les besoins à couvrir sont très importants. Nous bénéficions d’un noyau d’actionnaires stables, avec Predica (Crédit Agricole) avec 24% du capital, Malakoff Humanis, et une quinzaine d’institutionnels pesant environ 20% supplémentaires, qui, à l’instar de Sycomore AM, nous aident à améliorer notre gouvernance. Et nous croyons à la vertu de la transparence imposée par la Bourse. La plupart de nos concurrents ne sont pas cotés et donnent peu d’informations.

Le marché comprend-il bien votre modèle économique ?

Les analystes nous avaient parfois reproché, par le passé, de ne pas être capables d’afficher les mêmes performances que certains de nos concurrents. A la lumière de la situation actuelle, cette critique prend un tout autre relief. Le modèle de croissance que nous avons construit s’appuie à la fois sur du greenfield et sur les petites acquisitions, afin de limiter les risques. Nous nous adaptons à nos géographies, avec beaucoup de greenfield aux Pays-Bas et peu en Italie, où les nouvelles autorisations sont rares. Notre ratio de levier est de 3 fois, contre 4,5 fois pour certains concurrents, avec un poids de dette immobilière de 55%, contre 85% pour d’autres.

Quant au pilotage de notre performance, il fait depuis plusieurs années la part belle à la dimension extra-financière. Les objectifs de nos managers reposent sur des indicateurs principalement opérationnels, comme le taux d’encadrement ou la fidélisation des collaborateurs, la satisfaction des résidents et des familles, la qualité des soins, et non plus sur des critères exclusivement financiers. S’agissant du taux d’encadrement, le secteur tourne autour de 0,55 en France. Il est de 0,68 en moyenne chez Korian.

Que changera l’adoption du statut de société à mission en 2023 ?

Cela nous permettra d’ancrer dans la durée notre mission, avec des engagements ESG renforcés. Et aussi d’intégrer nos parties prenantes – patients, familles, collaborateurs – dans notre gouvernance, à travers le comité de mission, et de renforcer la transparence autour de ce que nous faisons. Plus important encore, la démarche de construction de l’entreprise à mission nous permet de mobiliser en interne et en externe autour de nos responsabilités et de notre contribution.

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