Protectionnisme et désordre monétaire

Pour la BCE et la banque centrale chinoise, mener une politique monétaire plus accommodante que celle de la Fed, ce qui entraînerait une dépréciation de l’euro et du renminbi, serait rationnel. Mais, gare ! La «guerre des devises» n’est pas une solution optimale, avertit Gilles Moëc, chef économiste d’Axa.
Chef économiste d'Axa
Gilles Moëc, chef économiste d'Axa
Gilles Moëc, chef économiste d'Axa  -  Axa IM

L’administration de Joe Biden n’a pas renversé les mesures protectionnistes de son prédécesseur et dans une certaine mesure les a prolongées sous couvert de politique industrielle dans le cadre du Chips Act et de l’IRA. La campagne actuelle de Donald Trump est explicitement axée sur une extension de ces mesures bien au-delà de la Chine, avec l’instauration d’un tarif universel de 10% et de représailles contre les barrières non tarifaires. La politique commerciale ne serait plus simplement le prolongement dans le domaine économique de la rivalité géopolitique avec Pékin, mais l’expression d’une volonté de protection générale des producteurs américains.

La fonction de réaction des partenaires des Etats-Unis est souvent analysée sous le seul prisme de leur propre politique commerciale. Deux options s’offriraient à eux : soit proposer de réduire les droits pesant sur les produits américains, possiblement par le biais d’un accord de libre-échange, soit compenser les barrières américaines en développant des marches de substitution. Les critères de choix sont souvent au moins autant politiques – par exemple le coût pour les gouvernements européens d’une ouverture plus grande aux produits agricoles américains, ou du démantèlement des systèmes de protection de l’exception culturelle – qu’économiques.

Une troisième option

Il existe toutefois une troisième option : la «manipulation» du taux de change, une appréciation du dollar permettant de compenser l’impact des droits de douane. Il pourrait s’agir d’une tentation d’autant plus forte que l’évolution spontanée des politiques économiques pourrait y conduire.

En effet, les Etats-Unis sont aujourd’hui dans une position cyclique plus avantageuse que celle de nombre de leurs partenaires commerciaux – en tout cas de la zone euro et de la Chine. Pour la BCE et la PBOC, mener une politique monétaire plus accommodante que celle de la Fed, ce qui entraînerait une dépréciation de l’euro et du renminbi, serait rationnel. Par ailleurs, la politique monétaire américaine pourrait elle-même être amenée à se durcir, ou en tous les cas à atténuer son orientation plus accommodante en réponse à un nouveau choc protectionniste. En effet, le rehaussement général des tarifs douaniers se traduirait très probablement par un surcroît d’inflation, et cela d’autant plus qu’il pourrait être compensé, pour amortir la détérioration du pouvoir d’achat des ménages, par des baisses d’impôt. Une telle option a été explicitement mise en avant par Donald Trump.

En revanche, le «choc en retour» sur l’inflation des partenaires des Etats-Unis qui choisiraient l’accommodement monétaire et la dépréciation du change serait mesuré. En effet, même si l’appréciation du dollar se traduirait par une facture énergétique plus lourde, une dépréciation conjointe de l’euro et du renminbi limiterait l’impact sur le prix des biens manufacturés que ces deux régions échangent.

La Chine n’a pas utilisé cette arme massivement lors de la «première guerre commerciale» en 2017-2019, pendant laquelle la dépréciation du yuan a été modérée. Les objectifs internes n’étaient toutefois pas alignés avec une politique générale d’affaiblissement de la devise chinoise. Aujourd’hui, avec une demande intérieure en berne, des taux d’intérêt bas et un affaiblissement du taux de change seraient une combinaison attractive.

Ne pas oublier les risques

Des considérations de politique étrangère ont souvent affecté la politique de change de la Chine. Pour établir le renminbi comme une monnaie de réserve internationale rivale du dollar, offrir une rémunération attractive aux investisseurs étrangers et ne pas rechercher un affaiblissement de la parité vis-à-vis de la devise américaine a été un principe cardinal pour Pékin. Toutefois, dans une configuration où la politique commerciale américaine pourrait pousser davantage de pays émergents à découpler d’une dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, le calcul politique en Chine pourrait conclure à la possibilité de laisser le renminbi se déprécier sans menace significative pour son statut international.

La «guerre des devises» n’est pas une solution optimale, car elle pourrait entraîner une spirale protectionniste aux Etats-Unis. La décision de Pékin en 2015 de déprécier le renminbi (après des années d’appréciation) a été l’un des ferments du durcissement de la politique américaine. C’est un autre aspect du caractère en définitive toujours contre-productif de l’érection de barrières commerciales. La rationalité économique n’est cependant pas toujours alignée avec les passions politiques.

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