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Des risques asymétriques aux Etats-Unis et en Europe

En matière de croissance économique comme d’inflation, le consensus pour 2024 est remarquablement convergent pour les deux côtés de l’Atlantique. Certes, les prévisionnistes tablent en général sur une croissance plus forte aux Etats-Unis que dans la zone euro, mais si on corrige de l’écart entre les PIB potentiels (environ un demi-point), il s’agirait dans les deux cas d’un atterrissage relativement doux, sans passage par une phase de récession profonde, permettant un retour incomplet, mais prometteur, vers l’objectif d’inflation de 2%. Cette convergence des scénarios macroéconomiques se retrouve dans les attentes du marché sur la politique monétaire, avec une baisse des taux directeurs d’ampleur comparable pour la BCE et la Fed. A la différence du dernier point – nous trouvons les anticipations du marché trop agressives sur la baisse des taux – c’est aussi notre scénario central. Mais pour nous, le scénario alternatif le plus plausible ne serait pas nécessairement le même des deux côtés de l’Atlantique.
Les risques autour d’une telle trajectoire «bénigne» sont aisés à expliciter. D’un côté, la possibilité que les banques centrales soient en fait déjà allées trop loin, que la croissance décroche et que, du fait d’un retournement significatif du marché du travail, l’inflation repasse en dessous de l’objectif de la banque centrale, renouant avec la quasi-déflation d’avant le Covid (scénario A). De l’autre, la possibilité que les banques centrales aient en définitive été trop prudentes et aient arrêté le durcissement des conditions financières trop tôt, laissant la demande caracoler au-dessus du potentiel, provoquant une résistance de l’inflation à un niveau supérieur à leur objectif (scenario B). La zone euro nous parait un candidat plus plausible pour le scenario A, et les Etats-Unis nous semblent plus à risque de tomber dans le scénario B.
Front renversé
La résilience de l’économie américaine reste impressionnante. Certes, la croissance de l’emploi est depuis le printemps 2023 passée en dessous de son rythme tendanciel, mais les Etats-Unis sont encore loin de détruire des emplois. Les revenus du travail corrigés de l’inflation continuent à croître de manière robuste, ce qui permet de protéger la consommation de l’érosion de l’épargne excessive accumulée pendant la pandémie. L’impact maximal des hausses de taux de la Fed devrait toutefois intervenir en 2024, et c’est la raison essentielle pour laquelle le consensus des prévisionnistes se forme autour d’une croissance plus molle, mais encore faut-il que la transmission de la politique monétaire soit efficace. C’est là tout le problème posé par l’orientation du marché depuis le mois de novembre : l’anticipation de baisses de taux directeur fortes pour 2024 a fait repasser à la fin de 2023 le taux à 10 ans en dessous de 4%. Il n’est plus certain que les conditions financières d’ensemble soient aujourd’hui suffisamment restrictives pour pousser l’économie en dessous du potentiel et contribuent à l’atterrissage de toutes les composantes de l’inflation, alors que les services résistent encore.
De l’autre côté de l’Atlantique, la conjoncture reste plus morose. Depuis la fin de 2022, la région oscille entre récession de faible intensité et stagnation. Le marché du travail commence à être touché et le taux de chômage remonte en France et en Allemagne. Dans ce dernier pays, la correction des prix du gaz et de l’électricité n’a toujours pas provoqué de redémarrage des secteurs intensifs en énergie, ce qui laisse penser que des pertes de part de marché durables sont apparues. Une différence fondamentale entre les Etats-Unis et la zone euro tient à la combinaison du durcissement des conditions monétaires avec le début de la restriction budgétaire. Même l’Allemagne, qui aurait pu très largement échapper au mouvement général vers une austérité modérée, doit s’aligner en raison des décisions de la Cour suprême de Karlsruhe. Aux Etats-Unis, le contexte pré-électoral ne se prête évidemment pas au moindre effort de réduction du déficit.
Il nous semble que les deux banques centrales sont aujourd’hui à «front renversé». La posture respective de la BCE et de la Fed ne nous parait pas nécessairement alignée sur le risque le plus plausible dans leur propre région. Jay Powell était explicitement inquiet du risque de tomber dans le scénario A, alors que la rhétorique de la BCE reflète plutôt un souci d’éviter le scénario B. Cela pourrait augurer de beaucoup de volatilité dans ce début d’année. Plus fondamentalement, si le marché commence à anticiper la matérialisation du risque A dans la zone euro et du risque B aux Etats-Unis, ceci pourrait se traduire par une forte pression à la baisse sur le taux de change de l’euro, combinée à un durcissement excessif des conditions financières en Europe, compte tenu des effets habituels de contagion sur le marché obligataire depuis les Etats-Unis vers la zone euro.
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