
Pékin laisse peu d’espoir aux créanciers étrangers d’Evergrande

La cause est entendue. Fitch Ratings n’a pas attendu l’officialisation par China Evergrandede son défaut pour rétrograder la note du promoteur immobilier à «restricted default». L’agence de notation désigne ainsi la situation dans laquelle un émetteur a connu un défaut mais reste en activité. N’ayant pas obtenu de la direction d’Evergrande d’information sur le paiement ou non de 82,5 millions de dollars de coupons lundià l’issue d’une période de grâce de 30 jours, l’agence de notation, qui se montre particulièrement réactive, a supposé «qu’ils n’avaient pas payé».
Fitch a également rétrogradé en défaut le promoteur Kaisa après le non-remboursement mardi d’une obligation de 400 millions de dollars. Ce dernier aurait débuté les discussions pour la restructuration de sa dette, selon Reuters.
Pour les créanciers obligataires d’Evergrande, les chances d’obtenir un remboursement important de leur dette sont minces, compte tenu de la dimension politique de cette restructuration. Le processus, qui intégrera l’ensemble des obligations publiques et privées, devrait sans doute prendre des mois voire des années compte tenu de la complexité du financement mis en place au cours des 25 dernières années par le promoteur et de la taille de son bilan (plus de 300 milliards de dollars). Le prix des obligations, tombé à 20% du pair, intègrent déjà une combinaison de décote sur le principal (haircut), d’extension de maturité et de réduction du coupon.
Pékin à la manœuvre
Mais ni Evergrande, ni les créanciers offshore, qui comptent notamment Ashmore, BlackRock, Fidelity International, UBS et Allianz, dont certains se sont constitués dès septembre en comité de créanciers, ne maîtrisent le processus.
Premier acquis, il n’y aura pas de sauvetage public, qui entrerait en contradiction avec la priorité du gouvernement de désendetter l’économie. «L’incapacité d’Evergrande à faire face à ses obligations est un événement de marché et doit être traité avec les règles du marché», a affirmé Yi Gang, le gouverneur de la banque centrale (PBoC). Mais le gouvernement sera à la manœuvre dans cette restructuration compte tenu des impacts économiques, financiers et sociaux d’un tel défaut. Le secteur immobilier élargi pèse près de 30% de l’économie chinoise et Evergrande 3%, ce dernier étant le groupe immobilier le plus endetté au monde.
Les rôles semblent bien définis. Le ministère du logement va devoir faire en sorte que tous les clients d’Evergrande soient livrés des logements qu’ils ont achetés et en partie payés. La stabilité sociale est cruciale pour Pékin. De son côté, le gouvernement de la province de Guangdong, où se trouve le siège d’Evergrande, sera aux manettes de la restructuration. Le promoteur a annoncé lundi la constitution d’un comité rassemblant des représentants du gouvernement local ainsi qu’un dirigeant d’une des bad banks chinoises, mais aucun représentant externe. Enfin, la PBoC est en charge de la stabilité financière et d’éviter une contagion au système financier.
Rang subordonné
Autre certitude, les investisseurs offshore seront à la fois structurellement et contractuellement subordonnés aux investisseurs onshore et aux créanciers opérationnels du groupe. L’un d’eux, Marathon Asset Management s’attend à ce que les créanciers offshore se retrouvent parmi les derniers dans les rangs des remboursements. Le gouverneur de la PBoC a précisé jeudi que les droits des actionnaires et des créanciers d’Evergrande seraient «pleinement respectés» sur la base de leur seniorité.
Le modèle de restructuration de la banque régionale Baoshang Bank en 2019 pourrait servir aux autorités pour traiter le cas d’Evergrande. A l’époque, Pékin avait privilégié le remboursement des dépôts et fait contribuer les créanciers au sauvetage. Dans le cas du promoteur immobilier, les clients seraient l’équivalent des déposants, tandis que les créanciers seront mis à contribution, les obligataires offshore arrivant en dernier.
L’autre difficulté avec Evergrande est la complexité de la structure de financement, et notamment sa partie non publique. Il s’agit de placements privés, de produits financiers et de multiples garanties données par le groupe à certaines de ses filiales, dont seulement une partie est connue (557 milliards de yuans ou 92 milliards de dollars).
Pour Pékin, le contexte est compliqué par la multiplication des défauts. Kaisa devrait pour sa part signer un NDA (accord de non-divulgation) avec Lazard qui représente des créanciers obligataires détenant 25% des 12 milliards de dollars d’obligations offshore émises par le promoteur, selon Reuters. Mais un accord prendra du temps. Ces derniers ont déjà rejeté un première proposition d’échange d’obligations.
Faible contagion
Le défaut des deux plus importants émetteurs chinois de dette en dollar a toutefois eu peu d’impact dans le marché, le risque étant déjà largement intégré dans les cours. Au contraire, le marché high yield, dans lequel le secteur immobilier pèse plus de 50%, a nettement rebondi au cours des trois dernières séances. Certains gérants ont recommencé à acheter des obligations chinoises en dollar après le plongeon des prix de novembre. Greenland Holding a été cette semaine le premier promoteur chinois à revenir émettre dans le marché dollar depuis deux mois.
Surtout, il n’y a pas d’effet de contagion au-delà du secteur immobilier chinois et des deux promoteurs dont les obligations sont au plus bas. «Evergrande et l’immobilier ont bien sûr un poids important dans l’économie chinoise, ce qui pose la question de l’impact sur la croissance économique, mais ces promoteurs très endettés et en catégorie high yield sont des cas particuliers, localisés, ce qui limite le risque de contagion à d’autres secteurs», relève Erick Müller, stratégiste chez Muzinich & Co. La tentation serait de généraliser ce qui se passera dans la restructuration d’Evergrande à l’ensemble du marché chinois.
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