Migration des dépôts : la vitesse compte

Gilles Moëc, chef économiste d’Axa, analyse les conséquences de l’érosion de la base des dépôts constatée aux Etats-Unis sur les futures décisions de politique monétaire.
Chef économiste d'Axa
Gilles Moëc
Gilles Moëc est chef économiste du groupe Axa  - 

La migration des dépôts des banques régionales vers leurs compétiteurs de plus grande taille est l’un des symptômes les plus saillants du choc financier à l’œuvre depuis plusieurs semaines aux Etats-Unis. L’action très généreuse et rapide de la Réserve fédérale (Fed) a permis de juguler les risques systémiques associés mais, au-delà de la réallocation entre banques, c’est bien l’érosion de la base de dépôts de l’ensemble du système bancaire qui risque d’avoir le plus de conséquences macroéconomiques. C’est un mécanisme classique dans les phases de durcissement de la politique monétaire – et probablement un passage obligé pour sa bonne transmission à l’économie réelle – mais sa rapidité est frappante. Nous sommes aujourd’hui confrontés à la première réallocation d’actifs liquides d’ampleur de l’ère digitale.

Si les agrégats monétaires n’apportent pas grand-chose à la prévision de l’inflation, ils offrent un cadre d’analyse utile pour comprendre la situation actuelle. Les dépôts à vue sont compris dans l’agrégat «étroit» M1. Les «quasi-dépôts» en dehors du système bancaire – comme les fonds monétaires – sont repris dans M3-M2. Les grandes inflexions au cours des cinq dernières décennies de la part de M1 dans M3 correspondent à des mouvements importants des taux courts. Il n’y a aucune surprise : lorsque les taux courts sont nuls, voire négatifs, les agents non financiers n’ont aucune difficulté à laisser une part importante de leurs avoir en dépôts à vue.

Ils se déplacent en revanche vers les fonds monétaires – et les dépôts à terme – lorsque leur rémunération devient tangible. C’est un mécanisme qui participe puissamment à la transmission de l’action des banques centrales. Le coût des ressources bancaires n’augmente pas simplement parce qu’il revient plus cher de se refinancer auprès de la banque centrale, mais aussi parce que le coût moyen des passifs bancaires se déforme avec une baisse du poids des dépôts peu ou pas rémunérés. La réaction brutale à la disparition de Silicon Valley Bank (SVB) et de Signature a précipité – et rendu spectaculaire – un phénomène qui se serait sans doute produit de toute manière : une élévation du coût des ressources bancaires qui, une fois transmis aux conditions de crédit, contribuera au ralentissement de la demande agrégée et donc, in fine, de l’inflation.

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La question de l’accélération du phénomène ne peut toutefois pas être éludée. Début avril, la baisse de la base de dépôts de l’ensemble du système bancaire américain avait atteint près de 2% en quatre semaines, plus de trois fois la volatilité moyenne historique. La capacité technique des agents non financiers à réallouer rapidement leurs avoirs liquides – soit entre banques, faisant jouer la concurrence sur la rémunération des dépôts, soit en dehors du système bancaire (au-delà des fonds monétaires, les plateformes de paiement proposent souvent une rémunération des liquidités) – est sans commune mesure avec ce qui prévalait lors des grands épisodes de durcissement des politiques monétaires des années 1980 et 1990.

Les banques centrales ont pu paraître frustrées par la faiblesse de la transmission de leurs signaux en 2022. Il est maintenant possible que l’on soit passé à l’extrême inverse, avec l’apparition de «halte soudaine» dans la capacité ou la volonté de distribution de crédit par des banques soumises à une élévation brutale de leurs coûts de financement. Le «durcissement des conditions de crédit» est souvent vu comme la conséquence d’une dégradation de l’opinion des banques sur la position financière des emprunteurs, mais historiquement c’est souvent la détérioration des conditions de financement des banques elles-mêmes qui a été le facteur déclencheur. Une grande prudence sur les prochaines décisions de politique monétaire s’impose.

L’érosion rapide de la base de dépôts doit également faire réfléchir aux conditions de développements des monnaies digitales de banque centrale. Le risque de créer une concurrence aux dépôts bancaires in fine nuisible à l’activité économique via la raréfaction de l’offre de crédit est depuis longtemps reconnu par la Banque centrale européenne (BCE). Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, a déjà proposé des palliatifs intéressants – par exemple une réduction de la rémunération des avoirs en CBDC [monnaie digitale de banque centrale, NDLR] au-delà d’un certain seuil ou, de manière plus radicale et sans doute plus efficace en cas de crise de confiance, l’obligation de création d’un «compte bancaire de déversement» vers lequel les avoirs en CBDC de chaque détenteur seraient dirigés lorsqu’un certain niveau serait atteint. L’innovation financière mérite une approche prudente.

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