L’Union des marchés de capitaux, outil d'émancipation pour la BCE

Parachever l’union bancaire et faire celle des marchés des capitaux permettrait à la BCE de s’affranchir davantage de la politique monétaire américaine, estime Sylvain Broyer chez S&P Global Ratings.
S&P Global Ratings
Sylvain Broyer
Sylvain Broyer  - 

L’événement est suffisamment rare pour être signalé : la BCE a commencé à réduire ses taux directeurs avant la Réserve fédérale américaine. On se souvient qu’en 2000 et 2007, le cycle d’assouplissement américain avait précédé d’un an celui de la BCE. Mais surtout, c’est la constellation qui est inhabituelle. Une baisse asynchrone des taux BCE ne s’est jamais produite en dehors d’une crise en Europe (les précédents sont la crise de l’euro en 1999 et la crise de la dette en 2012) et jamais, comme en juin 2024, sur la seule justification d’un ralentissement cyclique de l’inflation.

Certes, la BCE n’est pas la seule à s’affranchir de la Fed. En Europe, parmi les économies développées, la BNS, la Riksbank et la DNB ont déjà abaissé leur taux directeur, et la BoE pourrait leur emboîter le pas dès le mois d’août. De l’autre côté de l’Atlantique, les marchés hésitent toujours entre septembre et décembre comme date la plus probable à première baisse des Fed funds.

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Anomalie historique

Historiquement, un décalage monétaire de six à neuf mois de part et d’autre de l’Atlantique apparaît comme une anomalie. Une anomalie qui reflète autant les idiosyncrasies du cycle américain que les spécificités européennes.

Chacun se souvient que le soutien des gouvernements au revenu des ménages pendant la pandémie a été plus fort aux Etats-Unis qu’en Europe, et que les mesures ciblant l’investissement (Infrastructure Investment and Jobs Act de 2021, Chips Act et, bien sûr, Inflation Reduction Act de 2022) ont déclenché un boom de l’investissement privé aux Etats-Unis, tandis que les mesures comparables prises en Europe (on pense notamment à la RRF du plan NextGEn EU) ont un effet plus diffus dans le temps.

On comprend également que la confiance a été moins ébranlée aux États-Unis qu’en Europe, du fait de sa plus grande distance à l'épicentre des conflits géopolitiques en Ukraine et au Moyen-Orient. La transmission de la hausse des taux directeurs à l'économie américaine semble également avoir été moins forte ou peut-être simplement plus tardive qu’en Europe. Au vu de ces différences, il est clair que ni la nature de l’inflation ni sa persistance ne sauraient être totalement identiques aux États-Unis et en Europe et qu’un découplage des politiques monétaires n’est pas une bizarrerie.

Un découplage provisoire

Il est probable que ce découplage monétaire ne durera pas très longtemps. L’économie américaine ralentit, celle de la zone euro a retrouvé la voie de la croissance. Il est probable que la BCE ne baisse pas plus d’une à deux fois ses taux avant que la Fed ne commence à le faire.

Mais même si le découplage n’est que temporaire, les hésitations de la BCE à donner des indications fortes sur l’orientation de sa politique monétaire future, tant que la Fed ne s’est pas dévoilée, sont révélatrices. La BCE peut dire attendre confirmation de sa politique par des données dures de salaires et de nouvelles projections d’inflation. Le fait est que le fort écart de taux a fait baisser l’euro et que des capitaux européens se déplacent vers les Etats-Unis. Au cours des trois premiers mois de l’année, alors que la BCE avait commencé à signaler la possibilité d’une première baisse des taux d’ici l’été, Les investisseurs de la zone euro ont augmenté leurs avoirs en titres du Trésor américain de près de 50 milliards de dollars, ce qui a couvert environ 8% des émissions nettes de titres du Trésor américain sur la période. On peut imaginer que ces flux de capitaux ont accéléré au deuxième trimestre, après que la Fed a signalé vouloir attendre.

De forts mouvements transatlantiques de capitaux peuvent gêner la transmission de la politique de la BCE à l’économie européenne. Si trop de capitaux européens partent aux Etats-Unis, les taux longs européens pourraient remonter à un moment où l’économie domestique aurait besoin qu’ils baissent. Ceci pourrait même forcer la BCE à compenser la hausse des taux longs par des baisses de taux directeurs plus fortes que son ciblage d’inflation ne le préconise.

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Dégonfler la prime de risque

La BCE aurait la tâche plus facile si l’union bancaire était parachevée et si l’union des marchés de capitaux était faite. Dans une union bancaire parachevée, les banques européennes auraient plus de choix d’investissement. Elles pourraient octroyer plus de prêts dans les pays voisins européens pour profiter de rendements supérieurs, sans devoir nécessairement traverser l’Atlantique. Il en va de même avec l’union des marchés de capitaux. La prime de risque sur les actions européennes est de presque 200 points de base supérieure à celle sur les actions américaines. Elle a quasiment doublé au cours de la décennie passée. Cela traduit un manque évident de liquidité, qui n’est pas dû au manque de financements en Europe, puisque l’économie européenne génère des excédents courants, mais bien au manque d’attractivité de nos produits financiers : trop fragmentés, trop nationaux, trop illiquides.

Le rapport Noyer sur le futur des marchés de capitaux européens établissait il y a peu que 20% de l'épargne des résidents de la zone euro est aujourd’hui investie dans des titres de créance émis ailleurs dans le monde, au détriment des besoins de financements en Europe. Ajoutons que tandis que le Japon et la Chine se sont dégagés du marché des Treasuries, les investisseurs européens sont devenus les premiers créanciers étrangers du Trésor américain, avec une part de 19% (voir graphique).

La future Commission européenne aura beaucoup à faire, mais parachever l’union bancaire, notamment pour développer les prêts intereuropéens, faire avancer l’Union des marchés de capitaux, pour faciliter la titrisation, éliminer le biais de taxation entre actions et titres de créances, développer l’architecture des marchés financiers européens, harmoniser les gammes de produits financiers et avancer vers une supervision unique, entre autres choses, sont des impératifs dont la réalisation ne profiterait pas seulement à la BCE, mais à tous les épargnants et les PME d’Europe.

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