L’âge d’or de l’Amérique se termine maintenant

Fossoyeur du multilatéralisme, le président Trump démantèle de manière systématique les instruments de la puissance américaine, estime la directrice des études économiques du Groupe Crédit Agricole.
Crédit Agricole
Isabelle Job-Bazille
Isabelle Job-Bazille, directrice des études économiques du Groupe Crédit Agricole  -  DR

L’entreprise de destruction menée par l’administration Trump se manifeste à l’extérieur par le retrait unilatéral des accords internationaux comme celui sur le climat, ou par des coupes claires dans le budget d’aide au développement, en rupture avec la tradition de leadership global des Etats-Unis. La remise en question des alliances traditionnelles et le tournant agressif pris par la politique commerciale américaine à l’égard de ses partenaires historiques érodent la confiance mutuelle, longtemps ciment des relations transatlantiques. La diplomatie américaine adopte également une posture viriliste et belliqueuse qui consiste à recourir à des méthodes d’intimidation pour imposer la paix par la force ou pour accaparer des ressources stratégiques selon une logique de prédation, non sans rappeler les puissances impériales d’antan.

Cette politique de démantèlement se poursuit à l’intérieur des Etats-Unis, avec le rétablissement de la censure sur fond de négationnisme scientifique et l’organisation d’une purge sans précédent dans l’administration fédérale qui s’apparente à une chasse aux sorcières «woke». L’effacement programmé de la diversité et l’affaiblissement systématique des contre-pouvoirs menacent également les fondements mêmes du système démocratique américain.

Les Etats-Unis n’ont plus rien à voir avec cet hégémon bienveillant, phare de la démocratie libérale, et pionnier des avancées scientifiques et sociétales, qui a guidé le monde occidental depuis quatre-vingts ans. Dans une pulsion autodestructrice, le président Trump met en scène, dans un chaos incessant, la fin de la grandeur américaine.

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Le dollar, victime collatérale ?

La prochaine victime pourrait bien être le dollar qui règne encore en maître sur le système financier mondial. Donald Trump ne compte pourtant pas abandonner le statut de monnaie de réserve internationale du dollar, cet emblème de l’hégémonie américaine qui permet aux Etats-Unis de conserver un contrôle sur les transactions financières et commerciales internationales, en faisant de son usage une arme géopolitique. Il est cependant influencé par Stephen Miran, son conseiller économique. Ce dernier estime, en s’inspirant du dilemme de Triffin (1), que la demande illimitée d’actifs de réserve a pour inconvénient de pousser à l’appréciation du dollar, ce qui en retour nuit à la compétitivité américaine. En assurant le rôle de fournisseur de la liquidité mondiale en dollars, les Etats-Unis seraient victimes de leur propre générosité, en étant condamnés à accumuler des déficits extérieurs chroniques et à subir une désindustrialisation progressive. Cette rhétorique, aux accents très «trumpiens», passe sous silence le «privilège exorbitant» du dollar, lequel permet aux Américains de vivre au-dessus de leurs moyens grâce à un financement indolore de leur double déficit, commercial et budgétaire.

L'équipier de Trump considère que les pays excédentaires, perçus comme des «profiteurs», doivent désormais assumer le coût lié à la fourniture de la monnaie de réserve par les Etats-Unis. L’objectif est d’orchestrer, volontairement ou par la contrainte, une dévaluation du dollar. Historiquement, le réalignement des monnaies s’est fait par le biais d’accords multilatéraux nommés d’après le lieu de leur signature, à l’hôtel Plaza de New York en 1985 ou au palais du Louvre à Paris en 1987. Dans cette logique, Mar-a-Lago, antichambre du pouvoir trumpien, pourrait devenir le théâtre de négociations visant à refondre le système monétaire mondial, avec pour objectif principal l’affaiblissement du dollar.

Ingénierie financière coercitive

Face à d’éventuelles réticences, les politiques commerciales et de sécurité pourraient servir de leviers de pression, soit en ajustant les tarifs douaniers de manière sélective selon des mécanismes de récompense ou de punition, soit en utilisant la garantie de sécurité militaire américaine comme une monnaie d’échange. Parallèlement, pour contrer la hausse des taux d’intérêt inhérente à ce type d’accord, il conviendrait d’inciter, voire de contraindre, les créanciers officiels étrangers à échanger leurs bons du Trésor à court terme contre des obligations centenaires à coupon zéro. L’objectif, en pratique, serait de diminuer globalement l’accumulation de réserves en dollars pour peser sur la valeur du taux de change tout en réorientant la demande d’actifs en dollars vers des maturités lointaines afin de contenir les taux longs. Cette forme de restructuration de la dette imposée aux détenteurs d’obligations, de manière unilatérale et à des conditions désavantageuses, s’apparente à de l’extorsion financière. Autre entorse au principe de gouvernance moderne, la Réserve fédérale pourrait être mise à contribution en instrumentalisant son pouvoir de battre monnaie pour servir les objectifs politiques, signant de facto la fin de l’indépendance de la banque centrale américaine…

Ces manœuvres d’ingénierie financière coercitive risquent de saper la confiance internationale dans le dollar américain, remettant en question son statut privilégié de monnaie de réserve mondiale. En l’absence d’ancrage, le système financier plongerait dans la crise avec une fuite généralisée hors du dollar et une ruée vers l’or, valeur refuge traditionnelle, ou vers des cryptoactifs, valeur refuge alternative, de quoi assouvir alors le rêve de puissance d’une oligarchie techno-libertarienne, incarnée par Elon Musk, qui aspire à un nouvel ordre monétaire mondial totalement décentralisé.

[1] Robert Triffin, Gold and the Dollar Crisis. The Future of Convertibility (1960)

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