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Les Français, plus fourmis que jamais

Les ménages ne sont pas près de relâcher leur tropisme d’une «sur-épargne», estime Isabelle Job-Bazille, directrice des études économiques du Groupe Crédit Agricole.
Crédit Agricole
Isabelle Job
Isabelle Job-Bazille, directrice des études économiques du Groupe Crédit Agricole  - 

Avant la pandémie de Covid, les ménages consacraient en moyenne 85% de leur revenu disponible à la consommation, laissant un taux d’épargne d’environ 15%. Au moment de la crise sanitaire, les ménages ont accumulé un sur-matelas d’épargne ; confinés chez eux, ils n’ont pas pu consommer comme à leur habitude, tandis que leur revenu a été largement protégé par les mesures d’urgence mises en place par les pouvoirs publics. Le taux d’épargne des ménages a atteint un niveau record de 26,5% du revenu disponible lors du grand confinement du printemps 2020. Après la réouverture de l’économie, la consommation a rebondi, le taux d’épargne a nettement baissé, bien qu’il soit resté plus élevé qu’avant la pandémie. Les ménages n’ont donc pas compensé l’absence de consommation de 2020 par une surconsommation ; ils ont même préféré maintenir un important effort d’épargne, sauf pour les plus modestes d’entre eux qui ont dû puiser dans leurs maigres économies pour faire face au choc inflationniste post-Covid.

Entre 2020 et 2023, le taux d’épargne des ménages a été ainsi en moyenne de quatre points supérieurs à sa tendance pré-Covid et reste élevé à 18,2% du revenu disponible au T3 2024. Cette augmentation du taux d’épargne ne s’est pas accompagnée d’une hausse de l’investissement des ménages. Les achats de logements neufs et les travaux d’entretien et d’amélioration de l’habitat ont en effet ralenti en raison de la hausse des taux d’intérêt et de la faible disponibilité du crédit. En revanche, l’augmentation des coûts de financement a freiné les achats de biens durables souvent financés par des crédits à la consommation, ce qui a pesé sur les dépenses globales. Ainsi, l'épargne financière, qui représente la portion du revenu des ménages restant après toutes leurs dépenses, y compris la consommation et l’investissement, a été le principal moteur de l’augmentation du taux d'épargne.

Le salaire par tête reste en retard

Plusieurs facteurs sont susceptibles d’expliquer cette hausse du niveau d’épargne financière. Si le revenu global ajusté de l’inflation a dépassé son niveau d’avant la pandémie, le salaire réel par tête n’a pas encore effacé la perte subie depuis fin 2019. Ce sont les prestations sociales, notamment les pensions de retraite, mais aussi les revenus du patrimoine, qui ont soutenu le pouvoir d’achat. En 2023, la hausse de 5% du pouvoir d’achat s’explique à plus de 40% par l’augmentation des revenus de la propriété. Or, ces revenus, concentrés sur les ménages aisés ayant une forte propension à épargner, sont peu consommés et sont en partie mis de côté, par défaut, en raison d’un effet de capitalisation [1].

De plus, l'érosion passée de la valeur du patrimoine lors du pic d’inflation a probablement incité les épargnants à réinvestir davantage les revenus financiers, voire à consentir un effort d’épargne supplémentaire pour recouvrer la valeur réelle de leurs avoirs (effet d’encaisse réelle). Le patrimoine financier des ménages, qui est aujourd’hui proche de 6.300 milliards d’euros en valeur nominale, a progressé de 16% depuis 2019, une hausse quasi équivalente à l’inflation cumulée, l’effort supplémentaire de placement ayant tout juste compensé la taxe inflationniste.

Ces tendances paraissent réversibles dans un contexte de reflux de l’inflation et de diminution progressive des taux d’intérêt. Alors que le salaire réel a repris le chemin de la hausse, les revenus de la propriété pourraient marquer le pas à mesure de la détente monétaire. Ce rééquilibrage des sources de revenus en faveur des salaires, plus susceptibles d’être consommés, pourrait avoir un impact négatif sur l’épargne. Par ailleurs, les effets d’encaisses réelles joueraient moins avec une inflation durablement inférieure à 2%.

Du côté des dépenses, la reprise anticipée du marché immobilier pourrait stimuler les dépenses d’équipement du logement, tandis qu’une meilleure accessibilité aux crédits à la consommation pourrait encourager les achats de biens durables, sauf peut-être en ce qui concerne la demande automobile, toujours déprimée, avec une transition lente vers l’électrique.

Equivalence ricardienne ?

Avec la désinflation, le taux d’épargne aurait déjà dû refluer alors, qu’en réalité, il a eu tendance à augmenter et a même gagné un point entre fin 2023 et le troisième trimestre de 2024. L’inflation laisse des traces, avec des anticipations qui s’ajustent avec retard, ce qui peut expliquer au moins temporairement le maintien d’un taux d’épargne élevé. On peut également invoquer le dérapage incontrôlé du déficit budgétaire, lequel a dépassé 6% du PIB en 2024. Selon la théorie dite d’équivalence ricardienne, les ménages, face à la dégradation des finances publiques et à l’augmentation inévitable de la pression fiscale, épargneraient un montant équivalent aux hausses d’impôts anticipées. Bien que la validité de cette théorie ne soit pas empiriquement démontrée et fasse l’objet d’analyses contradictoires, les incertitudes politiques et fiscales actuelles encouragent l’attentisme et la constitution d’une épargne de précaution.

Certains facteurs pourraient également contribuer à élever le taux d’épargne de manière structurelle. Le vieillissement progressif de la population devrait favoriser l'épargne accumulée pendant la période d’activité. Ce d’autant que le débat sur la réforme des retraites et les doutes sur la soutenabilité du régime par répartition ou le niveau futur des pensions devraient continuer à encourager les ménages à garnir leur bas de laine. Par ailleurs, les retraités, qui sont censés en théorie désépargner, continuent en pratique à mettre de côté. Enfin, face aux impératifs écologiques, les ménages sont probablement amenés à adopter des comportements de consommation plus sobre pour atteindre un mode de vie durable.

[1] C’est le cas notamment des contrats d’assurance-vie en euros où les intérêts sont capitalisés.

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