Les banques centrales marchent sur un fil

En repoussant sa première hausse des taux, la Banque d’Angleterre a pris le marché à revers. Et rappelé l’importance de la communication dans la période actuelle.
Fabrice Anselmi
BoE, Bank of England, Banque d’Angleterre à Londres
Les marchés ont été surpris par la décision de la BoE qui a repoussé ce qui devait être le premier relèvement de taux directeur.  -  BoE

Les marchés en avaient fait une quasi-certitude. Ils ont donc été surpris par la décision de la Banque d’Angleterre (BoE) de repousser ce qui devait être le premier relèvement de taux directeur par une grande banque centrale. Le comité de politique monétaire (MPC) a voté, à 7 voix contre 2, pour un maintien du taux de dépôt (bank rate) à 0,10%. Même si le gouverneur Andrew Bailey a parlé de décision «très serrée», seuls Dave Ramsden et Michael Saunders ont voté pour une hausse immédiate de 15 points de base (pb) et contre ce statu quo destiné à évaluer l’effet sur l’emploi de la fin du dispositif de chômage partiel depuis le 30 septembre. Par ailleurs, 6 membres du MPC ont voté pour laisser le programme d’achats d’obligations d’Etat (QE) à 875 milliards de livres (s’ajoutent 20 milliards d’obligations d’entreprise).

Conséquence, les taux britanniques ont chuté : de 1,07% à 0,94% pour les Gilts à 10 ans, de 0,69% à 0,48% pour ceux à 2 ans, de 0,47% à 0,24% pour le 1 an, et même de 0,02% à -0,007% celui à 1 mois ! La courbe des taux s’est un peu repentifiée jeudi, avec un écart entre les 2 et 10 ans passé de 36 à 43 pb. Malgré des prévisions extravagantes mercredi, les marchés de swaps n’anticipent plus tout à fait autant de hausses des taux d’ici à mars. Et la livre a naturellement corrigé, de 1,366 à 1,348 face au dollar et de 0,847 à 0,856 face à l’euro.

Incertitude ou stratégie ?

La BoE a quand même confirmé la perspective d’un relèvement de son taux directeur «au cours des prochains mois» si l’économie évolue comme prévu. «L’évolution à court terme du marché du travail sera cruciale pour déterminer l’ampleur et le rythme de la réponse (…). Nous ne disposons pas encore des éléments concrets nécessaires (…) à la suite de l’arrêt du dispositif de chômage partiel», a justifié Andrew Bailey, tout en précisant, avec un certain détachement apparent qui pourrait laisser penser à une approche stratégique vis-à-vis des marchés de taux, que «la politique monétaire ne peut pas régler les problèmes d’approvisionnement».

Les deux arguments sont assez logiques, mais auraient dû être avancés plus tôt : «Pas plus tard que le 17 octobre, le gouverneur déclarait haut et fort que la banque centrale devra agir pour contenir l’inflation (qu’elle voyait alors monter à 4% en décembre, ndlr). Désormais, il explique que les deux prochains rapports sur l’emploi seront clé, mais qu’il ne faudra pas y voir d’indication sur les mouvements de taux. On sait que cette hausse aurait été plus symbolique qu’autre chose, la BoE n’ayant aucune prise sur les cours de l’énergie, mais on a l’impression d’une communication mal maîtrisée, qui contraste avec celle du président de la Fed», commente, dubitatif, Bastien Drut, stratégiste chez CPR AM. «Cela a entretenu l’idée d’une hausse des taux imminente», ajoute Paul Brain, responsable de la gestion obligataire chez Newton IM. «La discussion dans le procès-verbal reconnaît que des hausses de taux sont en route, mais n’a pas semblé particulièrement convaincante sur une hausse en décembre», estime Francis Diamond, stratégiste taux chez JPMorgan, en s’interrogeant également sur ces modes de communication.

Des réactions qui rappellent la nervosité des marchés sur la façon dont les banques centrales sortiront de la situation totalement inédite dans laquelle le Covid les a entraînées. Si la Fed a réussi son examen mercredi, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a dû réaffirmer publiquement que la BCE ne relèverait probablement pas ses taux en 2022, histoire de mieux faire passer le message aux marchés, visiblement mal compris une semaine auparavant.

Les économistes de la BoE ont légèrement révisé leurs prévisions face au ralentissement de la consommation britannique et aux goulets d’étranglement qui devraient continuer à peser sur les chaînes d’approvisionnement à court terme. Ils anticipent désormais une croissance moyenne de 7% en 2021 au lieu de 7,25% en août, sans véritable report de la perte de croissance dans le futur proche : +5% au lieu de +6% en 2022, et toujours +1,5% en 2023 - dans tous les cas avec 4% à 4,5% de chômage. En raison principalement de la flambée des prix de l’énergie, l’inflation annuelle devrait passer de 4,25% fin 2021 à 5% en avril 2022, avant de diminuer «sensiblement» à partir du second semestre pour terminer à 3,5% fin 2022, 2,25% fin 2023, et même potentiellement juste au-dessous de l’objectif de 2% en 2024…

Question de crédibilité

Les stratégistes d’ING ne croyaient pas trop, mercredi, au scénario de statut quo avec indication de hausse à venir prochainement… sauf dans le cas d’une rechute d’inflation prévue à 1,5% en 2024. «A notre avis, le message de la BoE est un message de patience (…), mais sans une visibilité totale, avec une réticence à agir de manière pré-émotive», poursuit Francis Diamond. Evoquant deux hypothèses de la banque centrale sur les prix de l’énergie qui aboutissent à 1,7% ou 1,9% d’inflation à l’horizon de prévision, il se dit désormais plutôt «acheteur» d’une première hausse en février… «Dans cette période d’incertitude inédite, le principal message à retenir est bien que les banques centrales considèrent l’inflation actuelle comme temporaire. Dans un contexte de taux encore bas par rapport à la croissance, Andrew Bailey n’a pas voulu répondre à la surréaction des marchés de taux, d’autant moins que cela n’a pas eu d’effet violent sur les autres actifs. Mais il va devoir ‘délivrer’ pour ne pas mettre en cause sa crédibilité», juge Mohammed Kazmi, gérant de portefeuille et stratégiste Macro chez UBP.

Alors qu’ING estimait également risquée une remontée les taux sans prévisions économiques ni conférence de presse à l’appui en décembre, UBS rappelait le besoin, outre une vision plus claire sur la fin du chômage partiel, de voir le QE définitivement exécuté – il était à 853 milliards investis en Gilts mercredi. «Aucune théorie n’impose de lier les deux instruments, mais il semblerait bizarre de continuer à peser sur les taux longs avec les achats d’un côté, et de remonter les taux courts de l’autre», reconnaît Bastien Drut.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles du même thème

ETF à la Une

Contenu de nos partenaires

A lire sur ...