
La moitié de l’inflation européenne reste un mystère pour le FMI

Passé quasi inaperçu, le Regional Economic Outlook sur l’Europe du Fonds monétaire international (FMI), publié le 12 octobre, consacrait un chapitre à l’inflation. Il concluait qu’«une part importante de la récente hausse des prix ne peut être expliquée par les facteurs d’inflation conventionnels». Les auteurs estiment que les prix de l’énergie et de l’alimentation ont contribué en moyenne aux deux tiers de l’inflation dans la région, ce qui explique la grande hétérogénéité des chiffres entre les pays selon leur exposition à ces prix. Les pressions inflationnistes se sont ensuite généralisées, touchant également les services, pourtant «moins directement exposés aux prix mondiaux des produits de base ou aux variations des taux de change».
Fonction des courbes de Phillips
Les économistes ont donc décomposé le risque d’inflation par les salaires en estimant une courbe de Phillips – relation entre chômage et inflation – pour chacune des 24 économies européennes avancées et des 7 économies européennes émergentes. Puis ils ont comparé la récente flambée aux valeurs prévues par le modèle et extrait la contribution des divers facteurs, avec des moteurs conventionnels et d’autres plus spécifiques à l’épisode actuel.
L’analyse confirme que les taux d’inflation globale (headline) et sous-jacente (core) sont assez fortement associés aux évolutions de prix – passées et futures – plus élevées et à une moindre capacité d’emploi. Avec d’importantes différences là aussi puisque l’inflation dans les économies européennes émergentes est beaucoup plus sensible au marché du travail ou à l’évolution des prix en provenance de l’étranger, et beaucoup moins aux anticipations sur l’avenir.
Cependant, alors qu’elles expliquaient bien la hausse des prix en 2021, les différentes composantes du modèle standard n’expliquent que 50% à 60% de la flambée en 2022. L’évolution des prix de l’énergie et de l’alimentation constitue encore un facteur important de l’inflation «headline» partout en Europe. En revanche, les problématiques d’emploi ne sont pas un facteur qui joue sur l’inflation dans les économies avancées. Dans les deux parties de l’Europe, l’évolution des prix en provenance de l’étranger est aussi assez influente sur l’inflation «core».
Comment expliquer les 40% à 50% restants ? Premièrement, l’Europe a été frappée par deux événements à risque extrême : la pandémie puis la guerre en Ukraine. «Ces chocs peuvent avoir modifié les relations structurelles qui sous-tendent le processus d’inflation. Par exemple, l’analyse de ce chapitre montre que l’inflation sous-jacente est devenue plus ‘backward-looking’ et que la répercussion des prix mondiaux des matières premières sur l’inflation domestique a augmenté après la pandémie.»
Ensuite, même en l’absence de changements structurels, les indicateurs couramment utilisés peuvent ne pas saisir correctement les moteurs d’inflation. C’est le cas du taux de chômage, devenu un mauvais indicateur du ralentissement ou du rebond économique du fait de changements structurels sur le marché du travail : chômage partiel, préférences des travailleurs, baisse de l’offre, etc. Les goulots d’étranglement sans précédent au niveau de l’offre de biens sont également mal capturés dans le modèle de Phillips conventionnel, alors qu’ils ont reflété la réaffectation de la demande de services pendant le Covid-19 puis la reprise mondiale rapide entraînée par les soutiens politiques exceptionnels. D’autres facteurs pertinents sont mal pris en compte : modification de TVA comme en Allemagne au second semestre 2020, boucliers énergétiques, etc.
Situation exceptionnelle
Mais les auteurs, qui n’évoquent pas l’opportunisme de certaines entreprises ayant trouvé dans cette situation l’occasion de remonter les prix bien au-dessus de leurs coûts, restent sans explication pour encore la moitié des moteurs non conventionnels. Les pénuries d’intrants, voire de main d’œuvre mais dans une bien moindre mesure, semblent représenter une importante partie de l’inflation inexpliquée en 2022.
L’analyse les conduit à conclure que l’inflation devrait chuter plus rapidement dans les économies européennes émergentes, du fait d’effets de base sur les matières premières, que dans les économies européennes avancées. Dans celles-ci, l’inflation sous-jacente pourrait atterrir à des niveaux supérieurs du fait des anticipations et des risques accrus de boucle prix-salaires.
Plus d'articles du même thème
-
L’emploi américain, une bonne nouvelle dans une période troublée
Les chiffres du rapport mensuel sur le marché du travail ressortent plutôt bons pour le mois de mars. Le détail confirme encore une dynamique faible de l’économie américaine, sans prendre encore en compte les effets des licenciements déjà effectués dans le secteur public, ni ceux liés aux risques économiques résultant de la hausse des droits de douane. -
L'activité de la zone euro a été un peu meilleure que prévu en mars
Les PMI pour la zone monétaire ont été révisés à la hausse au titre du mois dernier, tirés notamment par l'Allemagne et la France. -
Les craintes d’inflation s’emballent aux Etats-Unis
La perspective d’une vague de tarifs douaniers à compter du 2 avril inquiète les entreprises et les ménages américains qui anticipent une nouvelle hausse de l’inflation. Les prévisions à court terme des marchés atteignent un plus haut de deux ans. Tout dépendra de l’impact du ralentissement.
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions