
La Fed ne devrait pas réagir à la hausse des taux longs

Un rendez-vous à haut risque. Encore testée, via une nouvelle hausse des taux longs vendredi, sur sa capacité à tenir sa nouvelle stratégie davantage guidée par l’emploi que par l’inflation, la Fed, qui réunit son comité de politique monétaire (FOMC) ce mercredi 17 mars, ne s’en trouve pas moins dans une situation peu confortable au regard de la communication à tenir. Son président Jerome Powell affirme qu’elle ne remontera pas les taux Fed funds avant longtemps, mais plus elle est crédible, plus les anticipations grimpent et les taux avec, d’où un rapprochement de la perspective de remontée du taux directeur – pour fin 2022 selon les futures de taux… «Elle fait face à une contradiction inédite entre une situation actuelle médiocre - près de 10 millions d’emplois manquent par rapport à il y a un an – et certaines garanties - avec les vaccinations et le plan Biden - d’une normalisation de l’économie dans deux ou trois trimestres», analyse Bastien Drut, stratégiste senior chez CPR AM.
Nombre d’analystes affirment que la Fed se satisfait de la hausse de taux actuels, même si, pour beaucoup d’entre eux, ils officient dans les grandes banques américaines qui profitent de cette repentification. «La banque centrale est aussi à l’aise avec cette remontée dans la mesure où elle ne contraint pas la reprise et ne durcit pas encore les conditions financières, estime Valentin Bissat, économiste chez Mirabaud. Elle s’est battue depuis dix ans contre un niveau d’inflation trop faible, et elle dispose des outils nécessaires pour diminuer les pressions inflationnistes en cas de surchauffe.»
Annonces techniques ?
Dans ce contexte, la Fed pourrait ne pas annoncer grand-chose. Son président sera attentif à rappeler qu’elle interviendrait au moindre écart exagéré. «Le marché ne tient pas toujours assez compte de la part de la remontée des taux qui, bien que faible, tiendrait d’une liquidité qui se détériore sur les bons du Trésor (US Treasuries)», ajoute Bastien Drut, pour qui une décision possible - mais non prévue par les marchés - pourrait être un léger rééquilibrage du programme d’achats (QE) actuel au profit des bons du Trésor (80 milliards de dollars par mois, soit 960 milliards sur l’année, plus 40 milliards par mois pour les prêts hypothécaires MBS). Sachant que le déficit américain dépassera les 3.000 milliards de dollars en 2021…
Pour financer son plan, l’administration Biden a annoncé qu’elle utilisera dans les deux mois la moitié de ses 1.600 milliards de trésorerie au bilan de la Fed : cela renforcera d’autant les réserves excédentaires des banques des agents économiques recevant ces soutiens budgétaires ; et cela conduira à réduire de beaucoup les émissions nettes de T-Bills, et donc l’univers d’investissement des fonds monétaires «govies», ce que les marchés anticipent déjà avec une baisse des taux monétaires : 0,01% pour le taux Sofr sur les prêts avec mise en pension «repo» ; 0,07% pour le taux Fed funds effectif. «La banque centrale, qui tient à contrôler les taux courts, pourrait dès lors annoncer rapidement : soit une remontée technique via le taux sur les réserves excédentaires (taux IOER, actuellement à 0,10%) ou le taux sur ses opérations de ‘reverse repo’ avec des opérateurs qui lui prêtent au jour le jour (ON RRP, actuellement à 0%) ; soit qu’elle remet une partie de ses 1.000 milliards de titres du Trésor de maturité inférieure à un an sur le marché, poursuit Bastien Drut. Avec la contraction du marché des T-Bills qui va se poursuivre, cela donnerait une justification à ce qui ressemblerait à une opération ‘Twist’.» Loin de toute référence au possible tapering de 2022, dont l’annonce est désormais plutôt attendue pour l’automne.
Si certains parlent de compenser ainsi la hausse des taux longs, ils ne sont cependant pas la majorité. «Elle pourrait augmenter la maturité moyenne de ses achats d’actifs, mais une approche systématique ne semble pas à l’ordre du jour», lance Valentin Bissat. Idem pour Société Générale CIB. «Mais les perspectives sur l’économie américaine sont bien meilleures et, en même temps, la Fed est consciente que l’inflation ne remontera pas tant au-delà du rebond technique de 2021, ne serait-ce que parce que les loyers, qui représentent près d’un tiers de l’indice, commencent déjà à diminuer», indique Michel Martinez, chef économiste Europe de la banque, persuadé qu’aucune modification de la fourchette des taux Fed funds (0%-0,25%) n’est envisageable avant mi-2023. Un point-clé de sa nouvelle stratégie est bien de ne pas remonter les taux de façon anticipée pour contrer l’inflation : ce sujet des anticipations de taux Fed Funds sera scruté de près avec les nouvelles projections des 18 membres du FOMC (dot plot), même si les marchés (futures) semblent l’avoir un peu compris avec les derniers discours, et revu de 12% à 7% en deux semaines la probabilité d’une hausse dès 2021.
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