La BCE ne peut plus attendre

L’analyse de Franck Dixmier, global CIO fixed income, Allianz Global Investors.
Franck Dixmier
 Franck Dixmier, global CIO fixed income, Allianz Global Investors
Franck Dixmier, global CIO fixed income, Allianz Global Investors.  - 

L’inflation en zone euro met la Banque centrale européenne (BCE) sous pression. Avec le virage restrictif annoncé de sa politique monétaire, le sujet de la fragmentation financière est revenu au cœur des débats. Or nous savons avec certitude depuis 2012 que la politique monétaire de la BCE vise deux cibles : si la stabilité des prix est officiellement le seul mandat de la banque centrale, la stabilité financière est devenue un objectif explicite depuis le moment « whatever it takes » de la crise de la zone euro.

L’année 2022 marque un changement de régime majeur sur les marchés de taux, et plus généralement sur l’ensemble des marchés financiers. Les dernières années ont été des années de gestion de crise, marquées par une présence permanente des banques centrales dans les marchés via un octroi abondant de liquidité et des taux court terme qui ont atteint des niveaux historiquement les plus bas, avec pour corollaire des pans entiers des marchés de taux en territoire négatif.

Le tournant restrictif des politiques monétaires sur la première partie de cette année, d’ores et déjà à l’œuvre ou annoncé, signe la fin d’une époque… Avec l’arrêt des achats de titres programmé fin juin et les hausses des taux à suivre dès le meeting de juillet, la tâche de la BCE se complique. Car ses deux objectifs sont difficilement conciliables. Relever les taux pour contrer l’augmentation des prix durcit immanquablement les conditions financières des pays aux finances publiques les plus fragilisées, au premier rang desquels se trouve l’Italie. Avec, pour conséquence, un risque de fragmentation financière, c’est-à-dire l’écartement des spreads entre les différents pays de la zone euro qui contraint de facto la banque centrale dans la bonne transmission de sa politique monétaire. Ce risque a commencé à se matérialiser ces derniers mois, pour devenir encore plus évident ces dernières semaines : le taux d’emprunt d’Etat italien à 10 ans (BTP) a dépassé 4 % le 13 juin, un plus haut depuis 8 ans, alors qu’il était à 0,50 % à l’été 2021. Le spread à 10 ans Bund/BTP, au plus bas à 90 points de base (pb) en 2021, a atteint un pic récent de 240 pb le 14 juin.

Le problème est d’autant plus urgent que la BCE est en retard dans la normalisation de sa politique monétaire. Face aux surprises à la hausse de l’inflation, qui a atteint +8,2 % en zone euro en mai, et aux risques de désancrage des anticipations d’inflation, elle doit avoir une totale liberté d’action dans son pilotage des taux court terme. Dans ce contexte, la mise en place d’un outil dédié à contrer la fragmentation financière devient une condition nécessaire au respect de son mandat de stabilité des prix.

Le sujet de la fragmentation financière n’est pas neuf, et les inquiétudes sur les pays périphériques sont récurrentes, notamment sur l’Italie. La crise du Covid a été un catalyseur des divergences économiques en zone euro. Malgré un fort rebond économique et une amélioration visible des indicateurs budgétaires en 2021, la pandémie a laissé l’Italie avec un ratio dette publique/PIB élevé (150,8 %), qui l’expose en première ligne au risque d’un choc de taux d’intérêt. Certes, l’Italie a des atouts, notamment un excédent budgétaire et une capacité démontrée par le passé à générer des excédents primaires. Mais avec une croissance potentielle proche de zéro, une productivité en berne, des tendances démographiques défavorables, une instabilité politique récurrente et des élections pour 2023, elle reste le maillon fragile de la zone euro, d’autant que le pays est particulièrement vulnérable à la crise de l’énergie du fait de sa forte dépendance au gaz russe. L’Eurosystème est désormais le principal détenteur de la dette publique italienne négociable, avec presque 700 milliards d’euros (environ 30 % de l’encours total). Or les achats nets d’actifs touchent à leur fin. Il est difficile de croire que la BCE puisse se retirer ainsi sans problème ou que les réinvestissements des programmes suffisent.

Reste à savoir quel pourrait être le mécanisme. L’outright monetary transactions (OMT) mis en place en 2012 n’a jamais servi. Il est spécifique à chaque pays et en principe illimité, et donc crédible pour les marchés, mais il est conditionné et nécessite pour le pays concerné de recourir au Mécanisme européen de stabilité (MES). La réutilisation des programmes d’achat d’actifs actuels est très difficilement envisageable : le programme d’achat de titres publics (PSPP) est censé être non spécifique à un pays et doit respecter les clés de répartition ; quant au Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP), son utilisation rencontrerait des obstacles juridiques.

Si la réunion en urgence de la BCE mi-juin a pu paraître maladroite en termes de calendrier, elle a eu néanmoins le mérite de confirmer son engagement à traiter le sujet d’une manière proactive… et c’est une nouveauté bienvenue. La BCE a toujours réagi, certes avec créativité, en temps de crise, mais le fait de prendre les devants est indéniablement plus crédible et efficace. En attendant d’avoir plus de détails, l’annonce du potentiel réemploi des tombées du PEPP pour lutter contre les tensions sur les spreads a eu un effet positif… mais pour combien de temps ? Sur un sujet très politique, les débats vont de nouveau être intenses au sein du Conseil des gouverneurs et tout l’enjeu est dans l’exécution.

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