
Fiscalité : moins de théorie, plus d’empirisme

Le Nobel d’économie 2021 signe la victoire de la science empirique sur l’idéologie. Co-lauréat du prix de la Banque de Suède, David Card avait démontré au début des années 90 avec Alan Krueger, décédé il y a deux ans, qu’un salaire minimum n’entraînait pas de destructions d’emplois, en particulier chez les salariés les moins qualifiés. Leur enquête de terrain, menée auprès de fast-foods, valut d’abord aux deux auteurs les sarcasmes de leurs pairs tant elle remettait en cause la doxa des économistes classiques. Avant que le sérieux de leur travail ne finisse par retourner le monde académique en leur faveur.
Mais l’idéologie a la peau dure en économie. Prenons la fiscalité des « riches », passion française que l’élection présidentielle devrait encore exalter. Dressant le bilan de la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU), un rapport de France Stratégie vient utilement passer les discours ronflants au tamis de l’empirisme. Trois ans après la remise à plat de la fiscalité du capital pour les contribuables aisés, impossible de conclure à un effet positif sur l’investissement. Voilà la théorie du ruissellement renvoyée à ce qu’elle est – une simple théorie.
Il n’en fallait pas plus aux pavloviens de l’impôt pour prôner le retour au statu quo ante. Comme si l’ISF ancienne formule qui prévalait jusqu’en 2017 avait permis de réduire les inégalités, de combler les déficits budgétaires ou de financer les lits d’hôpitaux qui ont manqué lors de la première vague du Covid. Ce serait oublier les vrais objectifs de la réforme. Avec la flat tax et la quasi-suppression de l’ISF, l’exécutif cherchait d’abord à effacer l’image déplorable laissée aux investisseurs par les choix strictement idéologiques du précédent quinquennat – celle d’une France détestant la finance, taxant les riches à 75 % et coupant les ailes de ses entrepreneurs, les fameux « pigeons », à rebours des politiques menées alors dans les autres économies développées. En inaugurant l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), le gouvernement pointait aussi du doigt le déséquilibre de l’épargne des Français, où l’immobilier de logement non productif occupe une place disproportionnée qui n’a malheureusement pas diminué depuis.
Le rapport de France Stratégie n’a pas encore fait le tour de la question mais apporte de précieux enseignements. L’exil fiscal des foyers soumis à l’ISF a pris fin, la transformation de l’impôt sur la fortune en IFI a coûté bien moins que prévu et la flat tax, favorable au versement de dividendes, a entraîné une hausse des recettes fiscales. Il reste à mesurer, aussi, l’impact psychologique que cette réforme a pu avoir sur le climat des affaires en France et sur l’indéniable vitalité de la French Tech. Voilà un passionnant sujet d’étude qui aurait l’avantage d’assurer pour quelques années aux entrepreneurs et aux investisseurs un bien plus précieux que toutes les théories des apprentis sorciers de l’économie : la stabilité fiscale.
Plus d'articles du même thème
-
La loi de finances 2025 a laissé aux banques un sentiment aigre-doux
Par souci de justice fiscale, la loi de Finances 2025 a apporté un certain nombre de modifications dont plusieurs touchent les banques de façon directe ou indirecte. Certaines dispositions ne sont pas à l’avantage du secteur bancaire mais d’autres sont plutôt bénéfiques. Zoom sur deux exemples concrets. -
Le fisc belge abandonne le double précompte sur les dividendes français
Les investisseurs belges pourront récupérer, sous forme de crédit d’impôt, une partie du précompte sur leurs dividendes français reçus avant 2020. -
Jérémie Jeausserand (Jeausserand Audouard) « La réforme des management packages recrée de l’insécurité fiscale»
Co-fondateur de Jeausserand Audouard, spécialisé dans l’accompagnement des dirigeants et des entrepreneurs à l’occasion d’opérations capitalistiques, Jérémie Jeausserand livre son regard sur la réforme de la fiscalité des management packages issue de la loi de finances pour 2025 et sur ses éventuelles conséquences sur l’économie française.
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions