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Double changement de focale pour la Fed

Après avoir tardé à amorcer son cycle de baisse des taux, contrairement à la Banque centrale européenne (BCE) et à la Banque d’Angleterre qui l’ont engagé, respectivement, en juin et en août, la Réserve fédérale américaine (Fed) a frappé fort en septembre en optant pour une baisse de 50 points de base des Fed funds, à une fourchette de 4,75%-5,00% désormais, au lieu d’une baisse plus graduelle de 25 pb. Il était certain que la Fed baisserait ses taux, le suspense, important, portait sur l’ampleur de ce premier mouvement.
Cette baisse marquée peut s’expliquer par le caractère restrictif de la politique et la volonté de l’assouplir rapidement en envoyant un signal fort en ce sens. Les marchés financiers poussaient aussi en faveur d’une baisse de cet ordre, tandis que les économistes estimaient qu’une réduction de -25 pb était suffisante et justifiée par les conditions économiques. Il s’agissait aussi d’éviter de prendre le risque d’envoyer un signal pouvant être perçu comme négatif, l’histoire monétaire récente associant en effet des baisses de cette ampleur à des situations de fortes inquiétudes voire de crise économique. Ces craintes se sont révélées infondées. La Fed n’a ni déçu ni vraiment surpris : la baisse de 50 pb a été saluée par les marchés actions, qui ont choisi de voir le verre à moitié plein et ont «acheté» la communication de la Fed. Pour cette dernière, cette baisse était pro-active et préventive, et visait à s’assurer de la poursuite de l’atterrissage en douceur de l’économie américaine.
Plein emploi et stabilité des prix
La Fed a bien manœuvré dans cette situation délicate. Ce faisant, elle acte un double changement de focale : le retour sur un pied d’égalité de l’objectif de «plein-emploi» de son mandat dual avec celui de stabilité des prix ; une analyse plus forward-looking, en sus du suivi des données en temps réel.
Le discours d’ouverture de Jerome Powell à Jackson Hole le 23 août dernier, a confirmé ce changement d’orientation : l’inflation n’est plus le souci premier et unique de la Fed, la situation sur le marché du travail importe désormais tout autant. Parmi les passages clés, celui stipulant «nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir un marché du travail solide en même temps que nous progresserons davantage vers la stabilité des prix » apparaît prémonitoire. Dans le communiqué du comité monétaire de la banque centrale, le FOMC, des 17 et 18 septembre, ce changement de focale est manifeste : la balance des risques entourant les objectifs d’emploi et d’inflation est désormais jugée être «à peu près équilibrée», tandis qu’elle était auparavant décrite comme «continuant de se rééquilibrer».

Si la «direction du voyage est claire», Jerome Powell ne s’est toutefois pas davantage avancé en précisant, à Jackson Hole, que «la date et le rythme des baisses de taux dépendront des données reçues, de l'évolution des perspectives et de la balance des risques». C’est à ce niveau qu’intervient, selon nous, le deuxième changement de focale. Jusqu’ici, si les trois déterminants des décisions de politique monétaire étaient en apparence placés au même niveau, dans la pratique, les données étaient davantage au centre de l’attention. La Fed, comme la BCE, ont beaucoup communiqué sur leur data-dependence et moins sur l’importance d’être forward-looking (nécessaire, compte tenu des longs délais de transmission de la politique monétaire et de son impact apparemment plus faible sur l’activité). Rétrospectivement, on peut se dire que Jerome Powell a «préparé le terrain» à la décision de septembre. L’approche risk management a prévalu sur la lecture instantanée des données - le tableau d’ensemble restant rassurant -, avec un objectif assez clair de ne pas être en retard, behind the curve, mais d’être dans l’anticipation. La Fed souhaite préserver le marché du travail américain d’une dégradation plus nette : il n’y a pas lieu d’attendre que celle-ci se confirme éventuellement pour agir.
Piloter le ralentissement
La suite de l’histoire reste à écrire : les prochaines baisses de taux, leur ampleur, seront décidées au fil de chaque réunion, comme indiqué par Jerome Powell à l’issue du FOMC de septembre. L’importance que revêt désormais l’évolution du marché du travail américain dans ce calibrage se double d’une difficulté, la nature exacte de son ralentissement demeurant compliquée à cerner. S’agit-il surtout d’une normalisation des tensions post-Covid-19 et dans ce cas, on peut escompter un arrêt «naturel» de la dégradation à plus ou moins brève échéance. Ou ce ralentissement est-il principalement le fait du resserrement monétaire passé ? Dans ce cas, il faut s’attendre à une poursuite de la dégradation pouvant aller jusqu’à la récession. À moins que la Fed réussisse l’exploit de garder le contrôle de l’atterrissage, pour qu’il se fasse en douceur, grâce à l’assouplissement de sa politique monétaire. La difficulté réside dans le fait que le ralentissement du marché du travail procède probablement des deux effets mais dans une proportion indéterminée. Cela peut néanmoins jouer en faveur de la Fed et l’aider à piloter finement le ralentissement de l’économie.
Du côté de l’inflation, malgré les progrès, comme Jerome Powell l’a affirmé : la mission n’est pas accomplie. La viscosité de l’inflation sous-jacente et son niveau encore «quelque peu élevé» plaident pour un desserrement monétaire graduel, afin d’accompagner la baisse de l’inflation sans prendre le risque de la relancer. On peut aussi citer les arguments d’Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne, prônant la vigilance et la précaution. Ils valent autant pour la zone euro et la BCE que pour les États-Unis.
En premier lieu, l'économiste estime que même si les risques baissiers sur la croissance se sont accrus, un atterrissage en douceur demeure plus probable qu’une récession. Elle souligne aussi qu’après un choc inflationniste majeur, il est important de persévérer pour restaurer durablement la stabilité des prix et donc de ne pas abandonner trop tôt les politiques monétaires désinflationnistes. Si l’inflation n’est par ailleurs plus la préoccupation première des marchés financiers, elle reste bien présente à l’esprit des agents économiques. Ensuite, autre argument en faveur de la prudence, plus tôt l’ajustement monétaire démarre, plus le retour au taux neutre (dont le niveau est inconnu) peut se faire prudemment et graduellement. Enfin, le retour à la cible d’inflation reposant sur tout un jeu d’hypothèses critiques, même si les données disponibles les confortent, mieux vaut avancer à pas comptés qu’à grandes enjambées quand il s’agit de baisses de taux.
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