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Cycle perturbé, croissance abîmée

Les chocs d’offre, Covid puis guerre en Ukraine, ont fortement perturbé le bon déroulement du cycle économique. Les impacts différenciés suivant les secteurs ont provoqué des à-coups de croissance, parfois violents, sur fond de désynchronisation des cycles entre les activités de services et l’industrie et entre les secteurs industriels.
La pandémie de Covid a en effet très fortement pénalisé le secteur des services, d’abord mis à l’arrêt pendant le grand confinement de printemps, puis durablement éprouvé par les mesures contraignantes de distanciation sociale. Les usines ont également dû fermer au début de la pandémie, mais ont repris assez rapidement leurs activités en respectant des règles sanitaires strictes. L’emploi et les revenus ont été préservés grâce à des mesures de soutien public inédites, si bien, qu’au moment de la réouverture progressive des économies, l’industrie a nettement rebondi, tirée par le redressement spectaculaire de la demande de biens de la part de consommateurs avides de dépenses.
Néanmoins, la grande désorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales et son lot de pénuries ont empêché certains secteurs industriels, comme l’automobile, de profiter pleinement de ce rebond. En sortie de Covid, la trajectoire de reprise a donc été forte et rapide dans l’industrie, sauf dans les secteurs où les difficultés d’approvisionnement ont été les plus mordantes, alors que dans les services, la récupération a été différée et lente.
Le secteur des services ne sera pas épargné
À l’inverse, avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, la nouvelle flambée du prix des énergies fossiles a surtout impacté les secteurs industriels, notamment les plus énergivores. Ce choc a néanmoins été amorti par certaines industries, comme l’automobile ou l’aéronautique, qui ont pu retrouver des rythmes de production plus conformes à la normale grâce à la résorption progressive des tensions sur les chaînes d’approvisionnement. Par ailleurs, les mesures de soutien au pouvoir d’achat et la résilience surprenante de l’emploi ont permis de maintenir la reprise en cours dans le secteur des services. En revanche, la consommation de biens, déjà en partie rassasiée par les effets de rattrapage post-Covid, a souffert de la crise du coût de la vie en raison du caractère plus facilement arbitrable de ce type de dépenses. Le découplage entre services et industrie s’est accentué ces derniers mois, la bonne tenue des activités de services ayant contrebalancé le fort ralentissement de la production industrielle au point de déjouer les pronostics d’une récession à large diffusion.
Une telle dichotomie ne semble pas durable alors que l’ensemble des secteurs font désormais face à un choc idoine de demande. Certes, l’inflation reflue, mais elle reste à des niveaux élevés tandis que le resserrement monétaire global n’a pas encore produit tous ses effets avec des délais de transmission évalués entre douze et dix-huit mois. Le pouvoir d’achat reste sous pression, les dépenses sensibles aux taux d’intérêt freinent nettement et le commerce mondial ralentit, de quoi affaiblir toutes les composantes de la demande et la croissance sur fond de re-convergence cyclique.
C’est le prix de la normalisation pour, qu’une fois évacuée l’onde des chocs, un cycle de facture plus classique se mette en place. Reste à savoir quel régime de croissance va s’installer à la suite.
A lire aussi: Les pays émergents, premières victimes de la fragmentation de l’investissement direct étranger
À cet égard, il convient de ne pas sous-estimer les effets de longue traîne des chocs successifs sur la croissance potentielle. Les crises ont sans doute abîmé de façon durable les facteurs de production avec à la fois une destruction du capital productif, un retard d’innovation et une dépréciation du capital humain, lesquels vont peser sur les rythmes de productivité futurs.
Il existe d’autres raisons objectives de croire au retour d’un régime de croissance molle. L’économie chinoise, plus mature, va perdre son rôle de locomotive mondiale dans un contexte plus large de fléchissement de la population active sur fond de ralentissement démographique, de quoi freiner la croissance de nature extensive liée à l’augmentation de la quantité de travail disponible. La fragmentation géopolitique, avec l’intensification de la rivalité entre la Chine et les États-Unis, est synonyme de fragmentation économique avec une reconfiguration des échanges internationaux et des flux d’investissement directs qui, selon le FMI, vont induire un coût pour la croissance mondiale.
La révolution verte, à la fois indispensable et désirable, va certes provoquer un boom d’investissement à même de doper la croissance à court terme. Cependant, décarboner l’énergie, les équipements et les usages va coûter cher sans que ces investissements aient nécessairement le pouvoir de rehausser la productivité sur le long terme.
Il faut dès lors parier sur les ruptures technologiques et le progrès technique pour créer les leviers d’une croissance intensive à base de gains de productivité. La technologie émergente de l’intelligence artificielle pourrait être cet accélérateur de productivité tant attendu. Cependant, la révolution du numérique, qui a suscité les mêmes espoirs de renouveau économique, n’a pas délivré ses promesses de croissance, avec une diffusion à large échelle lente et insuffisante pour inverser la tendance à l’épuisement des gains de productivité. Difficile donc d’imaginer de nouveaux ressorts de cette croissance matérielle, considérée comme l’alpha et l’oméga de notre prospérité.
Néanmoins, c’est peut-être le concept même de croissance qui doit être revisité pour inventer de nouvelles métriques, afin de mesurer une prospérité sans carbone, qui prennent en compte les biens communs que sont l’environnement et la biodiversité, parlent de justice et d’inclusion et placent au centre l’humain et son bien-être.
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