Cinq questions financières pour le passage de fin d’année

Selon Vincent Chaigneau, directeur de la recherche chez Generali Investments, il est trop tôt pour construire une allocation fondée sur une baisse des taux directeurs.
Generali Investments
Vincent Chaigneau
Vincent Chaigneau, directeur de la recherche chez Generali Investments  -  photo RVThouroude

Le consensus est souvent mauvais conseiller. La majorité des investisseurs a débuté 2023 avec trop de pessimisme ; in fine, les marchés «risqués» (actions, crédit high yield) ont plutôt surpris à la hausse. Les points de vue pour 2024 sont plus dispersés, mais les enquêtes suggèrent que sont généralement attendus un recul de l’inflation et des rendements obligataires, des baisses des taux directeurs au printemps, une pentification des courbes de taux, un repli du dollar et une poursuite de la remontée des actions. Cinq questions pour mettre ces anticipations en perspectives.

1/ L’économie américaine a-t-elle esquivé la récession ou celle-ci se manifestera-t-elle avec retard ? Le marché ne semble plus trop y compter, en témoignent les anticipations de hausse des profits des sociétés américaines de plus de 10% en 2024. Le risque d’une récession modeste est peut-être sous-estimé : le consommateur a déjà beaucoup pioché dans l’excès d’épargne accumulé pendant la pandémie et l’impulsion budgétaire diminue. Le mur de la dette pour les compagnies très endettées (high yield) n’arrive qu’en 2025, mais elles cherchent souvent à se refinancer dans l’année qui précède, ce qui coûtera cher et sera difficile au moment où les défauts remontent. L’économie européenne, dont l’encéphalogramme est plat depuis douze mois, ne semble pas devoir être un relais de croissance globale. La Chine guère plus, la crise immobilière continuant de plomber la confiance.

2/ A quelle vitesse l’inflation va-t-elle continuer de reculer ? Le marché table sur une décrue rapide : l’inflation sur les 12 prochains mois est estimée, selon le marché des obligations indexées, respectivement à moins de 2% et 2,25% en zone euro et aux Etats-Unis. Des pressions déflationnistes apparaissent en effet dans le secteur des biens. La hausse des loyers aux Etats-Unis va également dégonfler. Le «dernier kilomètre» (vers les 2%) sera certes plus difficile pour les banques centrales, car les salaires et les prix des services restent soutenus. Mais les marchés de l’emploi donnent des premiers signes de fatigue.

3/ Quand les baisses de taux directeurs débuteront-elles, et à quel rythme ? Le marché table désormais sur une baisse de taux de la Fed dès mai, quasiment deux d’ici juin et 100-125 pb au total sur 2024. Il est vrai que la Fed a un double mandat : le net ralentissement des créations d’emploi justifiera de ne pas maintenir trop longtemps une politique restrictive. Mais les anticipations de marchés semblent optimistes. Nous sommes plus confiants sur les perspectives de baisses de taux à moyen terme, les taux forward à 5 ans restant trop hauts (3,60%). Pour la BCE, davantage centrée sur l’inflation, un changement de cap avant juin nous semble moins probable. Or le marché anticipe une baisse dès avril, presque deux d’ici juin et plus de 100 pb sur 2024. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

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4/ Quelle politique budgétaire ? L’impulsion budgétaire a été puissante jusqu’à l’été aux Etats-Unis, mais a diminué ces derniers mois. Cette politique expansive contrastait avec les efforts de la Fed pour ralentir la demande. La normalisation en cours devrait contribuer au ralentissement. En zone euro, la Commission s’inquiète de certaines largesses, par exemple en Italie et en France, et une modeste restriction est dans les tuyaux. En Allemagne, la cour constitutionnelle a créé un séisme en refusant la requalification d’une enveloppe de 60 milliards d’euros de crédits, qui enfreint la règle de «frein budgétaire». Une restriction budgétaire significative (au moins 0,5 point du PIB) semble inévitable. Pire, ce sont 700 milliards de crédits qui à terme pourraient se trouver menacés. Se pose plus généralement la question difficile du financement de la transition énergétique.

5/ Quel contexte (géo)politique, dans une année intense du point de vue électoral ? De l’invasion de l’Irak en 2003, jusqu’au début de 2022, le monde a connu deux décennies de relative stabilité. La guerre en Ukraine et l’attaque terroriste contre Israël pourraient marquer le début d’une ère plus instable, alors que le monde évolue vers un nouvel ordre multipolaire. Les tensions entre la Chine et les États-Unis pourraient s’intensifier en cas de victoire de Trump. A l’inverse (risques positifs), les gouvernements en place n’ont pas intérêt à aviver les tensions, notamment sur les chaines de production ou énergétique, car l’inflation est un thème majeur pour les électeurs. Toute percée diplomatique en Ukraine serait une surprise positive pour les marchés européens.

Après une correction nette de fin juillet à fin octobre, les marchés obligataires et actions ont connu une nette embellie simultanée ces dernières semaines : les investisseurs se positionnent déjà sur les baisses de taux directeurs. Il n’est pas sûr qu’il faille surfer sur cette vague au tournant de l’année. Les perspectives de marchés 2024 nous semblent positives, mais à court terme, les obligations sûres, comme le crédit Investment Grade, auront notre préférence, pour au moins trois raisons. D’abord, le couple croissance-inflation devient moins favorable aux actions. Ensuite, les taux longs réels restent élevés par rapport aux multiples actions (valorisation). Enfin, la volatilité taux reste très haute par rapport à la volatilité actions. Le repli marqué de la volatilité taux devrait susciter des achats obligataires de la part des fonds systématiques, notamment de «risk parity». La volatilité actions nous semble trop basse à ce stade du cycle économique et politique. De fait, ceux qui souhaiteraient surfer la vague boursière peuvent se positionner de façon optionnelle, à bon prix.

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