
L’irrésistible ascension du juriste « augmenté »

Exit l’image poussiéreuse du juriste enfermé dans sa tour d’ivoire, gardien des valeurs à qui l’on ne fait appel que pour résoudre un problème de droit ! Le paysage juridique et réglementaire actuel a dessiné les contours d’un professionnel touche-à-tout qui, outre ses aptitudes en droit, a développé des compétences extra-juridiques en communication, gestion de projets, nouvelles technologies ou encore leadership. Ce juriste aux multiples expertises a hérité d’un nom : le juriste « augmenté ». Le terme était notamment sur toutes les lèvres lors de la troisième édition du Grenelle du droit, qui s’est tenue au Palais Brongniart de Paris le 15 novembre dernier.
Référencer les compétences
Une brève définition en a été donnée : un juriste augmenté serait ainsi un très bon expert, capable d’être aussi bien un chef de projet qu’un passeur d’informations, avec des bases en digital et une compréhension approfondie des autres métiers de son écosystème. Une enquête réalisée par le pôle de recherche LegalEdhec auprès d’une centaine de professionnels du droit, en partenariat avec l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), a également été présentée lors du Grenelle. Destinée à identifier les compétences clés du juriste augmenté, il en résulte que les compétences prioritaires pour être recruté au sein d’une direction juridique sont les soft skills, et notamment la capacité à gérer son stress en situation d’urgence, à accepter et émettre des retours d’expérience et à communiquer. Pour progresser et performer, en revanche, ce sont les compétences digitales qui ont été plébiscitées à 74 %, à savoir la connaissance des outils technologiques et la capacité à identifier, analyser et déployer des solutions digitales au sein de son entreprise. La prochaine étape, prévue ce mois de février, sera la mise en place d’une plate-forme de référentiel en ligne des compétences du juriste augmenté. « Chacun pourra s’y auto-évaluer et proposer des compétences additionnelles, qui seront validées ou non par un comité ad hoc, explique Christophe Roquilly, directeur de LegalEdhec. A partir de ce référentiel cadre, les juristes pourront construire leur propre référentiel et entrer ainsi dans une logique d’évaluation des compétences de leurs équipes, en identifiant les manques. » Les résultats de l’étude permettront aussi d’alimenter un dispositif de certification qui sera délivrée par l’Edhec Business School : le ALL Certificate (Advanced Lawyer & Lawyering Certificate).
Les groupes bancaires et d’assurances n’ont cependant pas attendu cette initiative pour « augmenter » leurs juristes et enrichir leur panorama de compétences. Chez Aviva, par exemple, l’accent est surtout mis sur la collaboration. « C’est un peu comme une ambiance d’incubateur, décrit Laurence Mitrovic, directrice juridique du groupe d’assurance. Plus on casse les silos, plus on est capables d’atteindre un résultat meilleur que celui produit par une réflexion isolée. C’est aujourd’hui une nécessité du métier ; autrefois, le juriste était le conseil passif qui sécurisait l’activité et qu’on venait voir uniquement lorsqu’il y avait un problème. Il est aujourd’hui un facilitateur, qui s’implique davantage et se doit d’être dans un mode proactif vis-à-vis de ses interlocuteurs. » Outre des fondamentaux solides, la direction juridique d’Aviva attend ainsi de la part de ses nouvelles recrues qu’elles soient capables de comprendre les aspects économiques et stratégiques actuels du monde de l’assurance, et qu’elles soient proches des opérationnels.
Un juriste protéiforme
Dominique Bourrinet, directeur juridique groupe de la Société Générale, voit pour sa part plusieurs moyens d’accroître les performances des juristes. Parmi eux, l’adjonction aux compétences juridiques de connaissances en droit et pratique de nouvelles technologies afin de faire face à la montée du digital et de la data dans le secteur bancaire. Au sein de la banque, cela s’incarne dans la présence au sein du département juridique de knowledge lawyers, d’un data analyst, ou encore de legal digital champions qui font l’interface entre les nouveaux outils numériques et les équipes juridiques. « Le ‘digital’ ne se suffit cependant pas à lui-même, tempère Dominique Bourrinet. Il faut également réfléchir de façon holistique à l’ensemble de l’organisation et à la gestion des compétences, et veiller à ce que nous soyons bien en phase avec les nouvelles opportunités technologiques. Dans ce cadre, nous avons lancé au sein de notre base de partage de données un dispositif type ‘groupon’, dans lequel tout juriste peut organiser par lui-même une formation sur un thème spécifique après avoir réuni un certain nombre de ses collègues. »
Pour Sophie Celeste, responsable juridique au sein du groupe Crédit du Nord, un juriste augmenté est aussi et avant tout un juriste polyvalent, capable d’évoluer et de passer avec agilité d’un poste à l’autre. Elle-même, après un DEA en droit des affaires, a commencé son activité professionnelle en tant que conseillère clientèle au sein du groupe, avant d’évoluer vers une fonction juridique. « Cette double casquette commerciale/juriste m’est très utile pour mieux comprendre les contraintes et besoins des clients, affirme-t-elle. De manière générale, l’adaptabilité va être de plus en plus demandée aux juristes afin qu’ils puissent, au cours de leur carrière, se nourrir d’autre chose avant de revenir avec des compétences nouvelles sur une fonction juridique. Nous mettons beaucoup l’accent sur ces passerelles. » Pragmatique, opérationnel et agile, tel est donc le juriste « augmenté » défini par les professionnels du secteur de la banque-assurance. Lesquels, au sein de leur direction juridique, devraient donc s’atteler à une chasse aux talents de plus en plus pointue.
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