
Les experts du « collateral » tissent leur toile

« Collateral », mais plus accessoire : la gestion des actifs livrés en garantie sur le marché interbancaire nécessite des profils pointus. « C’est la crise financière qui a joué le rôle de déclencheur, rappelle en préambule Manuel Feito, deputy COO d’Euroclear Bank Operations. Avant 2008, les banques se prêtaient entre elles des quantités énormes d‘argent sur le marché interbancaire sans réelles garanties, le système étant basé sur la confiance. Les réglementations successives (Bâle 3, Emir, Dodd-Frank, SFTR, OTCD…) ont changé la donne en poussant à l’utilisation du ‘collatéral’ pour protéger le créancier contre les risques de crédit. » Au fil du temps, le transfert de collateral s’est d’abord imposé sur le marché obligataire, puis s’est invité sur les marchés des dérivés de gré à gré (OTC), dont le change. « Cette extension progressive du périmètre s’est traduite par une augmentation considérable des volumes et des opérations de plus en plus complexes, puisque vous pouvez prêter du ‘cash’ contre des titres ou échanger des titres », ajoute Cyrille Prigent, head of operational line banking services chez Caceis. Du coup, les banques de financement et d’investissement (BFI) ont aussi investi ces dernières années dans des stratégies d’optimisation et de transformation de leur collateral en dédiant sur leurs desks des équipes de traders pour compte propre. « Mon travail consiste à optimiser le ‘collateral’ pour piloter le ratio de liquidité LCR qui importe aujourd’hui à toutes les banques systémiques, explique un trader évoluant au sein de la trésorerie d’une grande BFI. Nous l’utilisons également dans les chambres de compensation pour payer les marges initiales lorsque le dépôt de ‘cash’ coûte plus cher qu’un dépôt de titres. »
Pour accompagner la croissance de l’activité, les BFI et les acteurs des services titres, qui interviennent en tant qu’agent tripartite, ont constitué des départements dédiés. « En 2008, nous devions avoir chez Caceis trois ou quatre personnes pour gérer l’administration du ‘collateral’. Aujourd’hui, c’est une équipe de 23 experts qui traite les flux et échange avec les contreparties », souligne Cyrille Prigent.
Nommé collateral team manager en 2018 après avoir effectué toute sa carrière chez Caceis au middle-office et à la livraison de titres, Vincent Lisiecki, 38 ans, est à la tête de l’une des deux équipes chargées de piloter l’activité. « Au quotidien, je suis les indicateurs de production de mes neuf collaborateurs, explique-t-il. J’accompagne également mon équipe dans les échanges quotidiens et la résolution des ‘disputes’ qui peuvent intervenir sur les dossiers les plus complexes. »
Recrutements en vue
Chez Euroclear, l’équipe en charge du collateral est passée d’une trentaine à une centaine de collaborateurs, avec une forte coloration internationale. « De 2010 à 2019, nous avons embauché chaque année une quinzaine de nouvelles recrues pour absorber la progression des flux et remplacer les départs », note Manuel Feito. En 2020, comme la plupart des acteurs de la filière, Euroclear a marqué une pause dans ses recrutements. « Avec la crise sanitaire, il y a eu moins de mobilités au sein de nos équipes ou de départs vers l’extérieur, souligne Manuel Feito qui s’attend toutefois à un retour à la normale l’an prochain. Nous devrions à nouveau recruter en 2021 une quinzaine de personnes en Belgique et en Pologne, essentiellement afin de compenser le turnover. »
Euroclear cible deux types de profils. « Pour la moitié de l’équipe qui gère la partie opérationnelle au back-office, nous recherchons des jeunes diplômés bac+5 en économie ou en finance, ou des candidats ayant déjà travaillé un ou deux ans en banque, mais qui ne connaissent pas forcément l’univers du ‘collateral’ puisque nous les formons au sein de notre ‘collateral academy’ », précise Manuel Feito. Les ‘collateral acccount managers’, qui composent l’autre moitié du département, possèdent le même profil, mais avec une particularité en plus. « Dans ce métier, vous êtes en contact permanent avec les clients. Mieux vaut donc être un bon communicant et parler couramment anglais », souligne Manuel Feito. Ce qui était le cas pour Thuy An Bien, embauchée sur ce poste en décembre 2017. « Lorsque j’ai rejoint l’entreprise après avoir décroché mon master en gestion à la Louvain School of Management, j’ai tout de suite intégré la ‘collateral academy’ où, pendant cinq mois, j’ai alterné périodes de formation le matin et de travail au sein des équipes l’après-midi », confie la jeune femme de 28 ans.
Trois ans plus tard, elle gère un portefeuille de quatre banques d’investissement. Au quotidien, elle est en contact permanent avec le back et le middle-office, mais aussi avec les traders : « Pour exercer ce métier, il faut aimer les interactions et se montrer proactif car vous êtes toujours en train de chercher des solutions pour résoudre les problèmes rencontrés lors d’un transfert ou sur le portefeuille. Il faut aussi être doté d’une solide résistance au stress pour supporter la pression imposée par les clôtures de marché et les traders… », indique-t-elle.
Vincent Lisiecki apprécie, lui, la diversité des missions. « Nous intervenons à toutes les étapes du processus, du ‘set-up’ jusqu’à la réconciliation. Et comme nous traitons de plus en plus de classes d’actifs, ce métier permet d’avoir une vue globale sur l’ensemble des produits financiers. »
Le collateral constitue d’ailleurs, pour Cyrille Prigent, un excellent point d’entrée pour les jeunes diplômés désireux de faire carrière en finance. « Nos ‘collateral managers’ se voient en général proposer rapidement des évolutions qui peuvent les conduire à construire une expertise forte autour de cette activité, ou à basculer vers d’autres fonctions au front-office, au risque, ou sur d’autres catégories de produits au middle-office. » Et le métier a de l’avenir. « Avec les prochaines échéances prévues par Emir en 2021et 2022, il concernera bientôt les petites banques, les ‘asset managers’, les ‘wealth managers’ et les banques privées. On peut donc s’attendre à de nouvelles vagues de recrutements… »
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