
Le marché se divise sur le sort boursier des banques

Le secteur bancaire de la zone euro est à la peine en Bourse, avec un repli de 19% depuis le début de l’année, un parcours plus dégradé que l’indice Stoxx 600, en recul de 15%. Mais depuis son pic annuel, touché en février, peu avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le secteur plonge de 30%. Bien davantage que le marché européen (-12%). Les banques françaises n’échappent pas au marasme. BNP Paribas lâche 29% depuis février, quand le Crédit Agricole et la Société Générale abandonnent respectivement 35% et 37%.
«L’invasion de l’Ukraine a tout balayé pour un secteur qui avait démarré l’année boursière en fanfare sur les perspectives de hausses des taux et de croissance économique qui s’annonçaient plutôt bonnes», résume Antonio Roman, gérant chez Axiom AI.
Deux forces contradictoires
Depuis quelques mois, deux thèses d’investissement s’affrontent autour du secteur. Côté pile, la trajectoire haussière des taux d’intérêt en Europe doit en principe leur être favorable. Elle doit alimenter le regain de leur produit net bancaire grâce à de meilleurs revenus d’intérêt et à des marges plus satisfaisantes. Jeudi, les annonces de la Banque centrale européenne (BCE) vont dans ce sens. Les cours des banques en ont d’ailleurs profité.
Côté face, le scénario de la dégradation économique laisse craindre un dérapage du coût du risque. «L’inflation, qui était vue comme un problème de déséquilibre épisodique entre offre et demande dans le secteur des biens, est devenue un problème plus diffus et durable. Et les banques souffrent désormais de l’anticipation de scénarios d’un ralentissement économique important, voire de récession, conséquences de l’action des banques centrales pour tuer cette inflation», poursuit Antonio Roman.
Entre récession classique et crise de 2008
En fait, le marché s’interroge. Ce que traduisent les contradictions des valorisation bancaires. Peu valorisé, «le secteur se traite environ à 0,5 fois les fonds propres, alors que le ROE anticipé est à 9%. A un tel niveau de rentabilité des fonds propres, les banques devraient s’échanger à 0,8 voire 0,9 fois les fonds propres», poursuit Antonio Roman. Le compte n’y est pas. «C’est une drôle de guerre à laquelle se livrent analystes et investisseurs», acquiesce un gérant d’actifs pour décrire l’attentisme qui prévaut sur le compartiment bancaire. «On constate une divergence entre les vues des analystes et celle du marché», poursuit Antonio Roman, qui souligne des anticipations toujours haussières chez les analystes alors que les cours baissent. «Le marché se trouve dans un entre-deux, estime Simon Outin, analyste crédit senior et spécialiste des dettes bancaires chez AllianzGI. Les valorisations boursières actuelles ont bien sûr baissé, mais sans ‘pricer’ à ce stade des pertes de crédit importantes propres à une récession.»
Au cœur du débat figure donc l’ampleur de la hausse des provisions. Si elle vient ! En moyenne de cycle, ce coût du risque est de l’ordre de 40 points de base pour le secteur. Ce qui signifie qu’en cas de crise, en bas de cycle, le coût du risque moyen peut être multiplié par deux, voire par trois. Ce qui s’est produit pendant la crise de 2008-2009 ou celle de la zone euro. «Un doublement du coût du risque par rapport à sa moyenne de long terme ampute la rentabilité des fonds propres du secteur bancaire de trois points de pourcentage. Un triplement, c’est six points en moins», illustre Antonio Roman. Donc «aujourd’hui, le marché se montre quatre ou cinq points plus pessimiste que les analystes en termes de rentabilité attendue. Il valorise une situation à mi-chemin entre une récession classique et la crise de 2008».
Qui se trompe ? «Si on entre réellement dans une récession, le coût du risque peut fortement augmenter. Et les banques vaudront alors beaucoup moins», estime Simon Outin, chez AllianzGI. Or, la multiplication des initiatives budgétaires en Europe pour aider entreprises et ménages à faire face au dérapage des factures énergétiques peut tout changer. Elle va dans le sens d’un report de ce risque de crédit. Sans aller jusqu’aux montants engagés lors de la crise Covid, les efforts de soutien et de relance s’annoncent massifs.
Dès lors, «l’effet de la crise énergétique va être amoindri, ce qui signifie moins de coût du risque pour les banques, analyse Simon Outin. Et même si ce coût est plus élevé en 2023 qu’en 2022, les banques affichent des niveaux de solvabilité élevés pour y faire face. Les ratios CET1 de 13% à 16% pour les banques européennes sont d’autant plus confortables qu’elles n’ont pas eu, pour celles qui sont cotées, le temps de distribuer leurs coussins de sécurité. A de tels niveaux, ils leur permettraient d’absorber des factures de risque deux à trois fois supérieures aux niveaux actuels».
Décote de populisme ?
L’inquiétude, encore diffuse, sur les trajectoires de provisions n’explique pas à elle seule la prudence du marché. D’autres facteurs entrent en jeu, comme la crainte d’un «passif populiste», évoqué par un gérant. Les débats sur une surtaxe des profits des bancaires, comme envisagé en Espagne, ou sur un moratoire imposé sur les mensualités de remboursement de crédits, comme en Pologne, en font partie. En France, Bercy se veut très actif sur la contribution des banques à la défense du pouvoir d’achat des ménages en cette période d’inflation.
Faut-il y voir une menace future pour les dividendes bancaires ? «On a constaté, jusqu’à très récemment, des validations de politiques de distribution bancaire de la part du régulateur européen, souligne Samy Lakhdari, analyste institutions financières Europe chez Natixis, avec des packages comprenant dividendes et rachats d’actions qui peuvent aller jusqu’à 60% voire 70% des résultats.» Cette redistribution du capital excédentaire est nécessaire, sinon indispensable, pour espérer de meilleurs ratios de valorisation. Mais ce raisonnement sera-t-il audible face au fracas politique causé par la crise énergétique et l’inflation ?
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