
L’AMF et l’APEI planchent sur le retrait obligatoire et l’expertise indépendante

Très discrètement, l’Autorité des marchés financiers (AMF) vient de lancer un groupe de travail sur le retrait obligatoire et l’expertise indépendante. Un vieux sujet pour le régulateur et pour la Place.
Toutefois l’AMF a déjà laissé la décision au législateur. La loi Pacte, en son article 22, prévoit en effet d’abaisser le seuil du retrait obligatoire de 95% à 90% du capital ou des droits de vote. Cette «expropriation» des minoritaires, sous réserve de proposer un juste prix, restera soumise au visa de l’AMF, qui décide de la recevabilité de l’offre de retrait «au vu notamment des conditions prévalant sur le marché des titres concernés et des éléments d’information apportés par le demandeur», selon son règlement général.
Dans la perspective de ce changement, l’association professionnelle des experts indépendants (APEI) a également initié un groupe de travail sur le «Retrait Obligatoire» pour réexaminer les modalités de mise en œuvre de l’expertise indépendante dans ce type d’offre publique et les enjeux qui s’y rattachent. Ce groupe de travail est présidé par Olivier Cretté, associé Ledouble, qui n’a pas souhaité s’exprimer avant la fin des travaux. Il sera intéressant de voir si les conclusions de ces deux groupes de travail concordent…ou pas.
Abandon des propositions du HCJP
Pour l’heure, le législateur n’a pas repris les subtiles nuances du rapport du Haut Comité juridique de la Place financière de Paris (HCJP) de mars 2018. Ce dernier, après auditions, notamment de l’Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires) et de gérants de fonds, préconise l’abaissement du seuil «au profit des seuls retraits exercés à l’issue d’une offre publique initiée par une ou plusieurs personnes agissant de concert ne détenant pas le contrôle de la société émettrice». Un compromis équilibré entre la nécessité d’améliorer les conditions de sortie de la cote au profit des sociétés émettrices et celle d’assurer un niveau de protection suffisant aux actionnaires minoritaires et aux investisseurs, expliquait alors le rapport. Des conclusions non suivies par Bercy. «Je regrette que l’AMF n’ait pas voulu prendre part à ce débat avant le vote du Parlement, confie Colette Neuville, présidente de l’Adam. Elle a préféré agir a posteriori en initiant ce groupe de travail qui devrait proposer des moyens réglementaires pour mieux protéger les minoritaires.»
Un vieux combat pour la présidente de l’Adam. «Depuis son instauration en 1993, je conteste le retrait obligatoire, véritable expropriation pour cause d’utilité privée, la preuve en est que c’est l’initiateur qui en a l’initiative, martèle Colette Neuville. Un sujet sur lequel le Conseil constitutionnel n’a jamais eu l’occasion de se prononcer.»
Aussi, «nous acceptons l’abaissement du seuil uniquement pour les offres consécutives à un changement de contrôle, mais en aucun cas pour les offres de ‘fermeture’, où l’actionnaire de contrôle poursuit lentement sa montée au capital et profite d’un bas de cycle et d’un faible prix pour lancer une offre de retrait au préjudice des minoritaires», poursuit Colette Neuville.
Financement et indépendance de l’expertise
Le groupe de travail devrait aussi faire des propositions pour améliorer l’expertise indépendante. «Ce sera l’occasion d’examiner certaines difficultés actuelles, comme la communication autour du processus d’appel d’offres d’experts indépendants, ou encore les règles du jeu autour des approches d’évaluation et de la référence au business plan : Faut-il recevoir les minoritaires, comment apporter une réponse dans le calendrier de l’opération ? Faut-il reprendre le débat sur le prix minimum ? explique Olivier Péronnet, associé Finexsi. Une réflexion sur l’amélioration du processus, à l’occasion des dix ans du rapport Naulot doit permettre de dresser un bilan, qu’on peut juger positif et qui est regardé de l’étranger avec intérêt.»
En France, l’expertise indépendante est régulièrement critiquée par les minoritaires, qui n’hésitent plus à faire appel à une «contre-expertise» pour répondre à l’argumentaire de l’expert indépendant. «La qualité de l’expertise indépendante a progressé grâce au dialogue avec les minoritaires, permettant d’obtenir des rapports bien mieux argumentés, ajoute Colette Neuville. Mais l’expert peut-il être indépendant, puisqu’il est choisi par la cible, contrôlée à 90% par l’initiateur de l’offre ? Pour garantir leur indépendance, il faudrait que ces experts s’engagent à ne pas travailler pour l’émetteur dans le futur, plus que tenir compte des missions passées.»
Derrière la question de l’indépendance se cache celle du financement. Qui doit payer l’expert ? Peut-on envisager une structure commune, abondée par les entreprises, qui rémunérerait les experts indépendants ? Une solution qui pourrait rassurer les minoritaires. Le modèle économique de l’expertise indépendante est complexe. «Si l’année 2017 a signé un record à Paris avec 41 opérations pour 6 millions d’euros d’honoraires, ces chiffres ont été plus que divisés par deux en 2018», ajoute Olivier Péronnet. Or les exigences de qualité imposent un coût du personnel et des bases de données nécessaires aux expertises très élevé, rendant sans doute difficile l’arrivée de nouveaux acteurs au regard de l’étroitesse du marché. Aussi, «on pourrait davantage développer l’appel à l’expertise indépendante pour les opérations dilutives, les conventions réglementées et les acquisitions d’actifs significatifs». Des pistes de réflexion pour l’AMF et l’APEI…
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