
Emploi dans la finance : la normalisation s’amorce

Le candidat reste roi, mais sa couronne vacille. Après la pandémie, le rapport de force sur le marché de l’emploi dans les services financiers avait changé. Ce n'était plus les entreprises qui sélectionnaient les collaborateurs qu’elles voulaient embaucher, mais les candidats qui choisissaient les entreprises pour lesquelles ils voulaient travailler. Cela a conduit à une inflation des salaires – ayant suivi la hausse des prix – et à des exigences des futurs salariés sur la qualité de vie au travail. La situation tend à se normaliser.
La conjoncture est aujourd’hui moins bonne, et la crise de l’immobilier a mis sur le marché des talents qui, auparavant, étaient très bien là où ils étaient. « Nous sommes toujours dans un marché de candidats, mais nous avons observé depuis plusieurs mois que cela s’inversait. En 2024, l’afflux de nouvelles offres d’emploi, souvent très dynamique à la fin du premier trimestre, a eu tendance à arriver plus tard que d’habitude », explique Laurent Nizard, fondateur et président de Harriston Executive, un chasseur de têtes spécialisé dans la finance.
Périmètre plus large
La relative raréfaction des offres n’est pas la seule raison de la détente du marché de l’emploi dans la finance. Les entreprises ont aussi appris, après des mois de disette de candidats, à élargir les profils auxquels elles faisaient appel. Dans les salles de marché, par exemple, « il y a de moins en moins de polytechniciens et d’anciens élèves de HEC », constate Laurent Nizard. Les exigences en termes de diplômes ont baissé. « Les banques peuvent aujourd’hui plus facilement faire appel à des profils plus atypiques », continue-t-il. Les employeurs ont aussi mis en place des critères de sélection moins axés sur les études que sur les relations au travail. « Les sociétés font de plus en plus attention à la mentalité des candidats. Un collaborateur pressenti pour mieux s’intégrer à l’entreprise pourra être préféré à un autre ayant pourtant un meilleur diplôme », explique un professionnel du recrutement.
La filière du private equity reste pourvoyeuse d’emplois haut placés, mais commence à s’essouffler
Changement profond
Cette normalisation du pouvoir entre les candidats et employeurs ne remet cependant pas en cause les profonds changements qui ont touché le monde de la finance. Plus question, maintenant, d’exiger d’un collaborateur, qu’il soit présent tous les jours au bureau. L’interdiction du télétravail est devenue rédhibitoire.
Cela peut poser des problèmes à certaines structures qui font parfois marche arrière sur ce point. C’est notamment le cas aux Etats-Unis, où JPMorgan et Goldman Sachs ont exigé de leurs cadres d’être présents physiquement. Mais cela peut aussi toucher la France. « Une entreprise qui n’accepte pas le télétravail a actuellement du mal à trouver un de ses cadres, bien que le poste soit très bien rémunéré», explique un chasseur de têtes. Certains candidats sont même à la recherche de postes en 100% télétravail. Or, sur certaines fonctions, le télétravail reste difficilement compatible avec les exigences de compliance des sociétés. Le scandale des traders ayant indûment utilisé l’application WhatsApp aux Etats-Unis, alors qu’ils travaillaient à distance, a coûté des centaines de millions de dollars à 16 institutions financières et en constitue un bon exemple. Les sociétés de gestion sont également concernées par ce problème.
De nouveaux besoins
Particulièrement sujettes à ces thèmes de compliance, et demandant une implication très forte de leurs nouvelles recrues, les banques d’affaires ne constituent plus le premier choix des candidats. Ceux-ci se sont, depuis plusieurs années, davantage tournés vers les fonds, et plus particulièrement ceux de private equity. « La filière reste pourvoyeuse d’emplois haut placés, mais commence à s’essouffler », constate Laurent Nizard. De la même manière, alors que la demande de banquiers privés était très forte il y a encore quelques années, le nombre d’offres pour ce type de postes passant par les chasseurs de têtes apparaît aujourd’hui moins élevé.
En revanche, la pénurie de candidats se fait sentir dans d’autres secteurs. C’est notamment le cas pour les métiers en relation avec les produits structurés, très en vogue actuellement, ou les métiers ayant trait à l’environnement, les problèmes sociétaux et de gouvernance (ESG) ou l’investissement socialement responsable (ISR). Il existe peu de formations initiales sur ces pratiques et les banques ou gestionnaires recherchent des profils expérimentés. «Les salaires pour des fonctions relatives à l’ESG ou l’ISR peuvent atteindre 200.000 euros par an, alors qu’il y a quelques années, le haut de fourchette se situait davantage vers 80.000 euros», note un recruteur.
En private equity, les gestionnaires sont aussi à l’affût de candidats avec un profil ESG , avec le développement du thème de la transition climatique et des fonds à impact. « Ces dernières années, nous observons un nombre croissant de recrutements pour des fonds thématiques, notamment autour de la transition énergétique», constate dans la pratique Constance Grandazzi, chasseuse de têtes chez Korn Ferry. De quoi rassurer les profils engagés.
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