
Denis Kessler, l’emblématique patron de Scor, est décédé

Une figure du patronat français vient de s’éteindre. Denis Kessler, qui a dirigé Scor pendant 21 ans et occupait la fonction de président du réassureur depuis la dissociation des fonctions le 30 juin 2021, est décédé ce vendredi 9 juin à l’âge de 71 ans, a fait savoir le groupe dans un communiqué.
Son état de santé fortement dégradé était un secret de polichinelle. Il était apparu très affaibli lors de la dernière assemblée générale du groupe il y a quelques semaines. Il avait tenu une longue introduction de 50 minutes, faisant état de sa «passion» pour le secteur de la réassurance, avant d’introniser le nouveau directeur général du groupe Thierry Léger. Interrogé par un actionnaire, il avait toutefois démenti «les rumeurs» sur sa santé, se déclarant apte à occuper la fonction de président de Scor jusqu’à échéance de son mandat en mai 2024.
«Denis Kessler était le genre d’homme à vouloir mourir sur scène», commente-t-on au sein du secteur. C’est Augustin de Romanet, vice-président, qui assure l’intérim de la présidence jusqu’à la nomination de son successeur «dans le cadre du processus en cours», précise le groupe dans son communiqué.
A Paris, l’action Scor s’inscrit vendredi en forte hausse de plus de 5%, la disparition de la figure tutélaire du réassureur ouvrant une dimension spéculative.
La bataille de la succession
La gouvernance de Scor a donné lieu au cours des deux dernières années à un véritable feuilleton, avec le passage éclair de Benoît Ribadeau-Dumas, ex-conseiller d’Edouard Philippe, à la direction générale, puis le départ surprise de Laurent Rousseau en janvier dernier, ex-conseiller de Denis Kessler ayant gravi les échelons au sein du groupe.
L’emprise du flamboyant président sur le groupe, qu’il a dirigé d’une main de maître depuis 2002, commençait à poser question. Le réassureur a finalement recruté en externe chez Swiss Re son nouveau capitaine, Thierry Léger. Adoubé par Denis Kessler lors de l’assemblée générale, il écrira sa propre feuille de route qui sera présentée lors de la journée investisseurs en amont des Rendez-Vous de Septembre. «Durant les deux dernières décennies, Denis Kessler a été l’artisan du succès et de la renommée de Scor dans le monde entier. Sa passion pour la réassurance était sans pareille, et son ambition de faire de Scor un leader de l’industrie ne l’a jamais quittée. Il nous laisse un héritage extraordinaire, et nous avons désormais la responsabilité de poursuivre son œuvre», déclare Thierry Léger.
Un héritage fort
Originaire de Mulhouse dans le Haut-Rhin, diplômé de HEC, titulaire d’une agrégation en sciences sociales, chercheur en économie, Denis Kessler a profondément marqué la vie du patronat français et celle du secteur de l’assurance. En 1983, il est nommé comme personnalité qualifiée au Conseil d’administration de l’UAP (l’ancêtre d’Axa). Il y siège jusqu’en 1986, puis de 1988 à 1990. En 1985, il est nommé président du comité des usagers des services bancaires au sein du Conseil national du Crédit. Il demeure à ce poste jusqu’en 1990. En 1990, il devient président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), fonction qu’il occupe jusqu’en 1997, puis à nouveau de 1998 à 2002. Il entre ensuite au Bureau exécutif du Conseil national du Patronat français (CNPF). En 1994, sous la présidence de Jean Gandois, il en devient vice-président et président de la Commission économique. Devenu directeur général et membre du comité exécutif d’Axa en 1997, il quitte cette fonction pour épauler le président du CNPF, Ernest-Antoine Seillière. Il est ensuite vice-président délégué du Medef de 1999 à 2002.
C’est en 2002 qu’il quitte l’organisation patronale pour prendre la présidence de Scor. Secoué par l’attentat du World Trade Center du 11 septembre 2001, le réassureur français est au bord du gouffre, son rating est abaissé et ses fonds propres presque réduits à néant. Jean Azéma, directeur général de Groupama, alors premier actionnaire de Scor avec 17% du capital, appelle Denis Kessler à la rescousse. Ce dernier opère un grand ménage : il débarque le directeur financier, puis le directeur général et lance le plan «back on track».
L’artisan du redressement de Scor
Devenu président-directeur général de Scor, Denis Kessler ne ménagera pas ses efforts pour maintenir la confiance des clients assureurs, devenus réticents à confier leur couverture à un réassureur aussi fragile. Il saura les convaincre. Profitant des liens historiques avec les assureurs français, notamment les mutualistes, il lance une série d’augmentations de capital, souscrites par Groupama, MMA et MAAF - les deux mutuelles qui s’uniront pour créer Covéa -, la Macif, Generali France, Swiss Life et CNP Assurances. Dès les renouvellements de janvier 2023, le marché français commence à remontrer des signes de confiance et fait entrer Scor dans ses programmes de réassurance.
Artisan du redressement de Scor, Denis Kessler le propulse parmi les réassureurs mondiaux de premier plan, en quatrième position derrière Munich Re, Swiss Re et Hannover Re. Il absorbe les différents chocs, des catastrophes majeures comme le tsunami de décembre 2004 en Asie du Sud-Est, l’ouragan Katrina qui dévaste le sud des Etats-Unis en 2005, le séisme de 2011 au Japon, les ouragans Harvey, Irma et Maria en 2017, l’attentat sur le port de Beyrouth en août 2020, mais aussi la crise financière de 2008, la pandémie de Covid-19, et plus récemment la guerre en Ukraine.
Denis Kessler s’attache également à équilibrer le modèle d’affaires du groupe, entre les activités de réassurance dommages et de responsabilité, et les activités de réassurance vie et santé. Une recette qui s’avère gagnante du fait du bénéfice de diversification sous Solvabilité 2, la nouvelle réglementation prudentielle européenne des assureurs qui entre en vigueur en janvier 2016.
Une personnalité controversée
Connu pour son tempérament impétueux, Denis Kessler, qui était aussi craint que respecté, était très attaché à l’indépendance de Scor, dont il préférait maintenir le capital ouvert. En 2015, il fait ainsi barrage à l’assureur japonais Sompo, détenteur de 8% du capital, qui souhaite monter au-delà de 15%. Selon lui, une telle opération aurait pu faire fuir ses clients japonais.
C’est le groupe mutualiste Covéa (MMA, MAAF, GMF), actionnaire de Scor depuis son augmentation de capital en 2003, qui reprend les parts de Sompo et devient le premier actionnaire du réassureur avec près de 8% du capital. La relation de confiance ne tarde pas à se déliter. En 2016, Denis Kessler demande au mutualiste de signer un «standstill agreement» (accord moratoire) par lequel il s’engage à ne pas monter à plus de 10% du capital dans les trois années suivantes. Alors que le cours de Bourse est toujours loin des attentes des actionnaires, Thierry Derez, le PDG de Covéa, tente de contourner cet accord moratoire en faisant une proposition de rachat dite «amicale» au conseil d’administration de Scor en août 2018. Celle-ci est automatiquement dénoncée par Denis Kessler comme une «OPA hostile». Il entraîne Scor dans un véritable feuilleton judiciaire et médiatique de deux ans, avant que l’intervention du gendarme des assureurs, l’ACPR, ne pousse les deux parties à signer un traité de paix.
Sur la place comme en interne, les critiques commencent à fleurir sur la personnalité du PDG, accusé de vouloir garder la main sur Scor. Dès 2020, le rocambolesque feuilleton entourant la préparation de sa succession vient encore accentuer ces critiques. Denis Kessler aura tenu la barre jusqu'à la passation avec Thierry Léger le 25 mai dernier. Ce dernier a désormais les coudées franches pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire de Scor.
Plus d'articles du même thème
-
Le président de BP s’apprête à tirer sa révérence sous la pression d’Elliott
Helge Lund quittera le groupe britannique, vraisemblablement en 2026, dans le cadre d’une transition ordonnée. La recherche d’un successeur est désormais lancée. -
Rebondissement pour Scor dans l’affaire Partner Re
Le réassureur Scor est mis en examen, en tant que personne morale, dans le cadre de l’enquête judiciaire pour des faits reprochés à son ancien président Denis Kessler. L’instruction concerne des faits imputés à l’association ASPM accusée de tentative de déstabilisation du groupe Covéa lors de sa procédure de rachat du réassureur Partner Re en 2022. -
Les tribulations de Carrefour crispent le marché et fragilisent son patron
A la peine en Bourse depuis plusieurs années, le distributeur peine à convaincre du bien-fondé de sa stratégie alors que le mandat de son PDG, Alexandre Bompard, arrivera à échéance en 2026.
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions