L’Etat couve un effet boomerang chez EDF

Le bouclier tarifaire décidé par le gouvernement risque de contraindre le groupe à se recapitaliser... avec de l’argent public.
Olivier Pinaud
réseau électrique électricité énergie nucléaire centrale de Civaux
L’Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique) oblige EDF à vendre de l’électricité à ses concurrents français à des prix très inférieurs à ceux du marché.  -  Crédit European Union

Du consommateur au contribuable. En gelant les factures d'électricité des Français à quelques semaines des élections présidentielles et législatives, le gouvernement envoie la patate chaude dans le bilan d’EDF mais il finira par la retrouver dans les comptes publics.

Le bouclier tarifaire dévoilé jeudi soir par les ministres de l’Economie et de la Transition écologique impose à EDF d’augmenter de 20% la part d’électricité nucléaire qu’il revend à ses concurrents français, à un prix largement inférieur aux cours du marché via le mécanisme de l’Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Il privera le producteur d’électricité de 7,7 milliards à 8,4 milliards d’euros d’Ebitda, selon les premières estimations du groupe. EDF verra ainsi lui passer sous le nez près de 40% de son résultat d’exploitation annuel.

JPMorgan estime que l’Ebitda d’EDF pourrait s'établir entre 7 milliards et 12 milliards d’euros cette année, alors que les analystes l’attendaient autour de 20 milliards d’euros selon le consensus FactSet. Oddo BHF le prévoit désormais à 10 milliards d’euros. Les mesures gouvernementales auront aussi un impact de l’ordre de 1,5 milliard d’euros sur le cash-flow annuel, estime EDF.

Conséquence, et avant un rattrapage partiel promis pour 2023 par le gouvernement, EDF risque de perdre son équilibre financier, déjà bien fragile. «EDF va examiner les mesures appropriées pour renforcer sa structure bilancielle et toute mesure de nature à protéger ses intérêts», a prévenu le groupe. Il promet d’en dire plus au moment de la publication de ses résultats annuels 2021 et retire dans l’attente «sa guidance pour 2022 de ratio d’endettement financier net / Ebitda». Le groupe visait jusqu'à jeudi soir un ratio inférieur à 2,8 fois.

Face à ce dérapage, il est probable qu’EDF ait besoin d’une importante augmentation de capital cette année, prévient JPMorgan. Les récentes déclarations de Barbara Pompili, selon lesquelles le gouvernement «sera aux côtés d’EDF pour l’aider à surmonter cette difficulté», appuient la thèse d’une prochaine levée de fonds, ajoute JPMorgan. Fin juin 2021, EDF portait 41 milliards de dette nette pour 53 milliards de fonds propres. Fin 2022, la balance risque de basculer du côté de la dette.

L’Arenh, un «poison»

Avec 83,8% du capital d’EDF, l’Etat devra assumer les besoins en capitaux du groupe. Il devra aussi prendre à sa charge le coût de 8 milliards d’euros lié au plafonnement à 4% de la hausse du tarif régulé de l’électricité (TRV) pour l’ensemble de l’année 2022, grâce à la baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Cette mesure avait déjà été annoncée fin 2021 par le gouvernement.

Même si elles sont prises en réponse à un environnement du marché de l’électricité totalement exceptionnel, ces décisions gouvernementales reposent la question de la pertinence de l’Arenh. Les 120 TWh vendus par EDF à ses concurrents le seront à des prix très inférieurs à ceux du marché : 42 euros/MWh pour l’Arenh classique et 46,2 euros/MWh pour la part supplémentaire de 20 TWh contre un cours de marché près de cinq fois supérieur actuellement. Qui plus est, EDF ayant déjà prévendu son électricité 2022, comme le font tous les groupes d’énergie, il devra acheter sur le marché les 20 TWh supplémentaires au prix du marché pour les revendre bradés à ses concurrents, comme TotalEnergies, afin que ceux-ci n’augmentent pas trop la facture de leurs clients. Le bouclier tarifaire annoncé jeudi soir par le gouvernement est donc une façon indirecte de subventionner des acteurs privés.

«Je compare l’Arenh à un poison qui a directement contribué en dix ans à faire d’EDF un acteur surendetté, dégradé à cinq reprises par les agences de notation, qui a cédé pour plus de 10 milliards d’euros d’actifs et a été recapitalisé à hauteur de 4 milliards d’euros», pestait il y a un an Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, devant la commission des Affaires économiques du Sénat.

Ces mesures reposent enfin la question de la gouvernance d’EDF et de sa capacité à gérer son chiffre d’affaires et ses coûts. Avec ce fonctionnement, le groupe n’a plus sa place en Bourse. Difficile d’imaginer des actionnaires privés vouloir encore financer le groupe. Le fameux projet Hercule de restructuration du groupe, aujourd’hui enterré, prévoyait de retirer de la cote les activités régulées d’EDF pour justement éviter ce type d’interférence.

La chute de 14,59% de l’action EDF vendredi, à 8,84 euros, a au moins un avantage pour l’Etat : elle limite à 4,5 milliards d’euros le coût qu’aurait un rachat (sans prime) des actionnaires minoritaires du groupe.

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Un malheur ne venant jamais seul, EDF a annonc\u00e9 vendredi devoir prolonger l’arr\u00eat de certains de ses r\u00e9acteurs nucl\u00e9aires, o\u00f9 des probl\u00e8mes de corrosion ont \u00e9t\u00e9 identifi\u00e9s. Dans certains cas, l’arr\u00eat se prolongera jusqu'\u00e0 la fin de l\u2019ann\u00e9e. Le red\u00e9marrage du r\u00e9acteur num\u00e9ro 2 de la centrale de Chooz (Ardennes) est ainsi d\u00e9sormais pr\u00e9vu le 31 d\u00e9cembre. Le red\u00e9marrage des deux r\u00e9acteurs de Civaux (Vienne) est attendu le 31 ao\u00fbt pour le premier r\u00e9acteur et le 31 d\u00e9cembre pour le second. Des probl\u00e8mes de corrosion avaient \u00e9t\u00e9 identifi\u00e9s sur un circuit de s\u00e9curit\u00e9 de ces trois r\u00e9acteurs. Les m\u00eames probl\u00e8mes ont depuis \u00e9t\u00e9 d\u00e9tect\u00e9s sur l’un de ceux de la centrale de Penly (Seine-Maritime), d’une moindre puissance. Penly 1 est ainsi arr\u00eat\u00e9 jusqu’au 30 mai. Les investigations se poursuivent pour d\u00e9terminer si le r\u00e9acteur num\u00e9ro 1 de Chooz est \u00e9galement concern\u00e9. Il doit red\u00e9marrer le 27 juillet et non le 11 f\u00e9vrier comme attendu jusqu'\u00e0 pr\u00e9sent. Actuellement, sur les 56 r\u00e9acteurs du parc nucl\u00e9aire fran\u00e7ais, cinq sont ainsi \u00e0 l’arr\u00eat \u00e0 cause de probl\u00e8mes de corrosion identifi\u00e9s ou soup\u00e7onn\u00e9s sur un circuit de s\u00e9curit\u00e9, plus autant \u00e0 l’arr\u00eat pour d’autres raisons. Ces cinq r\u00e9acteurs repr\u00e9sentent \u00e0 eux seuls environ 12% de la capacit\u00e9 nucl\u00e9aire fran\u00e7aise.<\/p>\n»,"format":"light_html"}}

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