
Le totem d’immunité boursier a vécu

Prenez une entreprise dont le cours de l’action a doublé en quatre ans et progresse encore de 14 % cette année. Comparez-la à ses concurrents pour constater qu’elle les dépasse de la tête et des épaules en termes de performance boursière. Comment son dirigeant pourrait-il ne pas s’attirer les félicitations de son conseil d’administration et de ses actionnaires ? Réponse : en faisant détruire en toute légalité mais avec une légèreté confondante deux sites sacrés millénaires en Australie.
Le 11 septembre, sous la pression de ses investisseurs, la compagnie minière Rio Tinto s’est résolue à pousser vers la sortie son directeur général et deux autres hauts dirigeants, après quatre mois de polémiques. Ce départ ne résulte pas seulement de la perte irrémédiable d’un héritage aborigène, dynamité sur l’autel du profit. Il sanctionne aussi la faiblesse des instances dirigeantes du groupe, qui ont cru s’en tirer à bon compte en privant de leur bonus les responsables de ce faux pas sans jamais prendre la mesure du choc créé dans toutes les strates de la société australienne. Le cas Rio Tinto constitue un tournant pour les partisans de l’investissement durable, et souligne le poids pris en 2020 par la dimension sociétale d’une approche ESG qui reposait davantage jusqu’à cette année sur ses deux autres piliers, l’environnement et la gouvernance (lire aussi le Dossier).
Hasard du calendrier, Milton Friedman publiait il y a tout juste cinquante ans un article fondateur appelé à passer à la postérité. L’économiste y postulait que la responsabilité sociale des entreprises et de leurs dirigeants consiste à maximiser les profits, pour peu que leurs pratiques préservent le jeu de la saine et libre concurrence. Le fondateur de l’Ecole de Chicago n’est même plus prophète en son pays : voilà un an, les patrons des plus grands groupes américains réunis au sein de l’US Business Roundtable se sont engagés à substituer au primat de l’actionnaire l’intérêt de toutes les parties prenantes. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Parmi les signataires de cette profession de foi, on retrouve des géants qui se sont taillé une position dominante sur leur marché, avec tous les excès que ces situations d’oligopole ou de quasi-monopole leur autorisent aujourd’hui. La concentration de la hausse du marché actions sur les valeurs de la tech offre le plus frappant exemple de ces déséquilibres, dont on sait les effets néfastes qu’ils peuvent avoir à long terme sur l’innovation ou les structures de production.
Il ne suffit plus de proclamer, comme Rio Tinto sur son site internet, que « nous nous efforçons de laisser un héritage durable et positif partout où nous travaillons ». Les fameuses raisons d’être et autres missions dont se dotent les entreprises devront prouver qu’elles valent mieux que le papier sur lequel elles sont écrites. Les succès boursiers n’offrent plus à leurs détenteurs de totems d’immunité.
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