
Le maintien des AG à huis clos soulève une opposition grandissante

La contestation monte en puissance contre la poursuite de la tenue des assemblées générales (AG) à huis clos, autorisée par l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020. Une inquiétude relancée par la Société française des analystes financiers (Sfaf) le mois dernier. Et qui semble justifiée puisqu’un amendement a déjà été déposé le 24 septembre dernier par des députés LREM sur le projet de loi ASAP. Cet amendement, déclaré irrecevable, prévoyait une prolongation de la tenue des AG à huis clos jusqu’à fin 2020, avec possibilité d’allonger par décret cette période dérogatoire jusqu’au 31 juillet 2021. Couvrant ainsi toute la saison des AG 2021. Les parlementaires n’ont plus que quelques semaines pour trouver un autre véhicule législatif, alors que le décret du 29 juillet limite à la fin novembre la possibilité de tenir les AG à huis clos.
Mais qu’en est-il des droits des actionnaires ? Si les assemblées se tiennent à huis clos, les actionnaires conservent le droit de voter, de poser des questions écrites et de proposer l’inscription de points ou de projets à l’ordre du jour. En revanche, ils perdent le droit de poser des questions orales et surtout celui de modifier des projets de résolutions en séance et de nommer ou de révoquer des administrateurs en déposant une résolution pendant l’AG. Or, l’exercice de ce droit pourrait changer le sort d’assemblées aussi attendues et sensibles que celles de Lagardère ou de Suez.
Perte du droit de révoquer les mandataires sociaux
L’ordonnance du 25 mars 2020 «porte ainsi, sur le plan du droit, une atteinte grave au fonctionnement des sociétés car ce sont les droits et prérogatives des actionnaires exercés au sein de l’assemblée générale qui sont affectés, explique à L’Agefi Thierry Bonneau, agrégé des facultés de droit et professeur à Paris II. Or, le droit de révoquer les mandataires sociaux au cours de l’assemblée est essentiel pour un bon fonctionnement des sociétés. Si le principe du délibératif ne peut pas être assuré, on porte atteinte au concept même d’assemblée générale». D’ailleurs, on peut s’interroger sur la constitutionnalité de cette mesure, alors que les rassemblements sont actuellement autorisés jusqu’à 1.000 personnes. Rien n’empêche une société de tenir physiquement son assemblée générale dans le respect des règles sanitaires. Mais beaucoup de sociétés préfèrent profiter du huis clos, qui permet de réduire les coûts et de taire l’éventuelle contestation - surtout lorsqu’elles ne proposent pas de dialogue en direct - mais aussi de se prémunir si leur assemblée devenait un cluster de Covid-19. Alors que l’AMF souhaite un retour à la normale dès que possible, elle pourrait faire des propositions dans son rapport annuel sur la gouvernance attendu en novembre.
Aussi, «en raison de la gravité de l’atteinte portée par cette ordonnance, celle-ci ne saurait être prolongée, sauf à modifier profondément le fonctionnement des sociétés et le statut de l’actionnaire, poursuit Thierry Bonneau. Ce qui peut être accepté à titre temporaire ne peut pas l’être à titre permanent. Si les sociétés veulent continuer à tenir leur AG à distance, elles doivent offrir à leurs actionnaires les moyens technologiques leur permettant d’exercer l’intégralité de leurs droits. Le gouvernement pourrait imposer ces mesures aux sociétés cotées sur un marché réglementé ».
L’évolution actuelle «est très grave, surtout si elle perdure. C’est un changement du droit des sociétés au détriment des actionnaires qui continuent à supporter les risques en perdant une partie de leur droits, confie Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam). La technique doit améliorer la démocratie actionnariale en permettant de voter et de participer en direct».
La technologie doit permettre le vote en direct
D’ailleurs, les AG à huis clos «ne sont pas des AG, le vote étant clos avant que la ‘réunion’, qui ne réunit personne sauf les dirigeants, ne se tienne, martèle Colette Neuville. Or, l’AG est avant tout un lieu de rencontre et de débat entre dirigeants et actionnaires, qui doit servir à éclairer le vote des actionnaires, qui pourraient vouloir exercer leur droit d’amender des résolutions ou d’en déposer pour la nomination ou la révocation d’administrateurs».
Aussi, «la Place doit tirer les enseignements de cette crise sanitaire – qui n’est pas terminée – sur le déroulement des AG (développement des AG hybrides voire dans certaines circonstances entièrement dématérialisées, suppression progressive du papier pour les convocations ou l’envoi de la documentation, développements d’outils permettant de poser des questions en séance après vérification préalable de la qualité d’actionnaire, généralisation du vote électronique à distance y compris pendant l’AG…). Ce sont des chantiers importants qui supposent plus de développements techniques que de modifications juridiques», explique-t-on à l’Afep.
Par ailleurs, ces assemblées non ouvertes aux actionnaires «établissent une discrimination entre grands et petits actionnaires, ces derniers ne pouvant déposer une résolution qu’en assemblée générale, à défaut de détenir les 0,5% du capital au-moins nécessaires au dépôt classique d’une résolution, poursuit Colette Neuville. Cette discrimination s’instaure également dans le dialogue actionnarial. Lors de leurs roadshows, les sociétés choisissent les investisseurs qu’elles rencontrent, établissant une rupture d’égalité de traitement entre les actionnaires, accentuée par la disparition du débat lors des AG à huis clos».
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