L’Etat ouvre une nouvelle partition stratégique et financière pour EDF en débarquant Luc Rémont

La nomination de Bernard Fontana, proposée par l’Elysée, en remplacement de Luc Rémont à la tête de l’électricien français, est censée pacifier les relations avec son actionnaire et ses grands clients.
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Bernard Fontana est proposé au poste de PDG d’EDF  -  photo Julien Lutt/Framatome

Le PDG d’EDF, Luc Rémont, a été remercié par le gouvernement. L’Elysée a indiqué dans un communiqué que le président de la République envisageait, «sur proposition du premier ministre, de nommer Bernard Fontana en qualité de président-directeur général d’Electricité de France».

«La présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat sont saisis de ce projet de nomination, afin que la commission intéressée de chacune des assemblées se prononce dans les conditions prévues par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution», ajoute la présidence.

Depuis septembre 2015, Bernard Fontana est directeur général de Framatome, le spécialiste de la fourniture d’équipements, de services et de combustibles nucléaires lui-même détenu à 80,5% par EDF et 19,5% par Mitsubishi Heavy Industries. Avant de redresser le fournisseur des cuves des réacteurs EPR, l’ex-Areva NP, ce polytechnicien de 64 ans a officié chez Arcelor Mittal et chez le cimentier suisse Holcim. Il connaît donc bien les problématiques des grands groupes électro-intensifs clients d’EDF, avec lesquels le torchon brûle depuis plusieurs semaines.

Négociations tendues

Luc Rémont avait été nommé PDG de l’électricien en novembre 2022, après que l’Etat a décidé de sortir EDF de la Bourse via une nationalisation complète. Depuis plusieurs trimestres, les tensions sont toutefois palpables entre l’entreprise et son premier actionnaire alors que le régime de l’Arenh (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), qui fixe les prix de l’électricité, arrivera à échéance au 31 décembre 2025.

Début mars, l’annonce par EDF du lancement d’un système d’enchères auprès des industriels pour l'électricité produite avec le nucléaire a été très mal accueillie par ces derniers, l’Union des industries utilisatrices d’énergie la jugeant «incompréhensible». «Ces enchères sont scandaleuses car elles détournent la vocation d’EDF, qui est une entreprise 100% publique» avait aussi jugé l’ancien ministre de l’Economie Bruno Le Maire, dans Les Echos.

Ces derniers jours, les grands industriels français électro-intensifs ne cachaient plus leur aigreur face à l’approche adoptée par EDF. «On a un vrai problème de compétitivité sur l'énergie en France», déplorait jeudi 20 mars Benoît Bazin, PDG de Saint-Gobain, interrogé sur BFM, déplorant l’attitude d’EDF, y voyant «un bras d’honneur» adressé à l’industrie tricolore. «EDF est une entreprise nationale qui a une mission de service public sur la compétitivité de l’industrie française», jugeait-il, estimant qu’«il n’y aura pas de maintien de l’industrie en France voire de réindustrialisation ou de décarbonation si on marche sur la tête comme on est en train» de le faire avec l’approche mise en œuvre par EDF en faveur d’enchères pour fixer les prix de futurs contrats d’approvisionnement en électricité. «Nous avons déjà différé des investissements industriels en France parce qu’on n’a pas de visibilité sur l'énergie au 1er janvier 2026», précisait-il.

L’électricien fait face à une situation cornélienne puisqu’il doit offrir un prix compétitif aux entreprises françaises tout en finançant d’importants investissements dans le nucléaire. En 2024, son excédent brut d’exploitation (Ebitda) a reculé de 8,4%, à 36,5 milliards d’euros. Le groupe affichait une dette nette de 54,3 milliards d’euros à fin décembre.

Equation complexe

Le nouveau patron devra, si son mandat est entériné par l’approbation des deux chambres du Parlement, s’atteler à renouer les fils du dialogue avec les industriels français tout en offrant un chemin acceptable pour les parties prenantes financières d’EDF sur sa future trajectoire de cash-flow. EDF va devoir gérer le nouveau chantier du siècle du déploiement de six nouveaux réacteurs EPR2, dont la construction a été promise par l’Elysée il y a trois ans mais dont le calendrier est toujours incertain – et même en voie d’être repoussé de 2035 à 2038 pour le site de Penly-, tout faisant face aux chantiers en cours – notamment outre-Manche.

C’est à cette aune que doit s’apprécier le choix du profil du successeur de Luc Rémont. Polytechnicien au profil industriel assumé, il peut faire valoir l’atout du redressement de Framatome, l’activité de réacteurs nucléaires reprise par EDF lors du démantèlement d’Areva. Pas question pour l’exécutif, ni pour l’opérateur historique d’ailleurs, de revivre le choc de 2022-2023 où, en pleine crise énergétique liée au déclenchement de la guerre en Ukraine, EDF avait été contrainte de réduire drastiquement son plan de charges en raison d’exigences des autorités de sûreté. Une vraie tuile pour le groupe public, alors encore coté et surtout une double peine financière : moins de recettes et des coûts qui explosent. Faute de capacités de production adéquates, il avait dû racheter au prix fort de l’électricité sur le marché pour honorer ses propres engagements de fourniture, vendue dans des contrats à terme. A la clé, des milliards d’euros de pertes et la précipitation vers une nationalisation complète.

A lire aussi: EDF a retrouvé une précaire stabilité financière depuis sa radiation boursière

Une autre contrainte de l’équation est aujourd’hui de nature financière. La vague d’investissements à venir intervient dans un cadre bien différent, avec des niveaux de taux d’intérêt plus exigeants, la menace d’une dégradation de la note financière de la France et des tombées de dette qui pourraient s’avérer délicates à gérer. Le tout sur fond d’une nouvelle course à l’armement de la part de l’Etat et d’une nécessaire augmentation du budget des armées. La logique d’une ségrégation des investissements nécessaires – 100 milliards d’euros évoqués pour les six futurs EPR2 – va se heurter à bien des obstacles.

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