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Pour une stratégie européenne

Le discours d’Ursula von der Leyen à Davos a précédé celui de Donald Trump, mais il a été largement perçu comme une réponse implicite à son discours d’investiture à Washington DC. Sa ligne était simple : si l’Union européenne restera fidèle à ses valeurs – le soutien à la cohésion sociale, l’engagement dans la lutte contre le changement climatique et une approche coopérative des affaires mondiales –, elle doit prendre en compte l’échec de la version des années 1990 de la mondialisation. Les politiques européennes doivent changer et devenir plus précises dans leur soutien à la reprise de l’économie. Ursula von der Leyen a énuméré trois priorités : l’achèvement de l’Union des marchés de capitaux, qui permettrait de recycler l’épargne européenne abondante en investissements européens, la simplification de la réglementation, en mentionnant un effort de grande envergure sur le reporting non financier et la possibilité pour les entreprises d’opter pour un régime réglementaire unique dans toute l’Union, et enfin un programme d’énergie propre.
Mais le respect des vénérables règles du jeu peut être lui-même un atout dans la compétition économique qui s’exacerbe avec les Etats-Unis. En matière de commerce international, Ursula von der Leyen a présenté l’Union européenne comme un partenaire fiable – une pique claire à l’encontre des États-Unis – et a clairement invité Pékin à un dialogue sur ces questions, laissant de côté le problème des véhicules électriques. Il peut paraître utopique d’opposer à la coercition américaine – à Davos, Donald Trump a présenté sans fard son «deal» : venez produire aux US pour bénéficier de conditions favorables, ou payez de lourds droits de douane – une approche coopérative et multilatérale qui fleure bon les années 1990.
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Un modèle européen hybride
Cela ne nous parait toutefois pas si vain. En effet, même si Donald Trump continue pour l’instant à bénéficier d’une popularité forte sur ton territoire, son imprévisibilité peut devenir un frein à la stratégie de croissance américaine. Une entreprise globale qui voudrait éviter le coût d’éventuels droits de douane en installant sa production aux États-Unis resterait toutefois vulnérable à des tarifs s’appliquant sur ses «intrant » ainsi qu’à des représailles tarifaires sur des marchés tiers, tout en devant accepter un coût du travail élevé qui pourrait être exacerbé par les restrictions sur l’immigration.
L’Europe pourrait être au cœur d’un modèle «hybride» pour le commerce international : entre les deux «clubs» instables et antagonistes, l’un centré sur les États-Unis, l’autre sur la Chine, une alliance plus traditionnelle et plus lâche de pays, toujours organisée autour du cadre multilatéral de la «vieille» mondialisation, pourrait survivre. On pourrait en trouver des signes dans les récents accords conclus entre l’Union européenne et le Mercosur, ou dans le rapprochement entre le Royaume-Uni post-Brexit et cette même Union européenne. Cette alliance lâche et les deux «clubs» ne s’excluraient pas mutuellement : par exemple, le Canada et le Mexique resteraient dans le club dominé par les États-Unis, mais pourraient en même temps poursuivre un resserrement de leurs liens économiques avec l’Union européenne et le Mercosur.
Ne pas négliger l’enjeu de l’énergie
Mais cela ne peut suffire à combler le «déficit stratégique» européen. La somme des contraintes pesant sur l’Union européenne est clairement implicitement intégrée dans ces choix politiques. Il est assez révélateur que les deux premiers axes mentionnés par Ursula von der Leyen – l’Union des marchés de capitaux et la simplification – soient «gratuits» d’un point de vue budgétaire : nous assistons à une internalisation de la contrainte budgétaire à laquelle de nombreux États membres sont confrontés, comme s’il n’y avait aucune possibilité d’extraire un autre cycle de «financement fédéral» après le programme Next Generation EU. Pour notre part, nous placerions le troisième élément – le programme énergétique – au sommet, avec un gros investissement conjoint, et nous combinerions cela à un instrument de dépenses de défense commun.
Les 500 milliards d’euros d’ici à 2030 que la Commission considère comme l’investissement nécessaire pour mettre à niveau le réseau électrique européen pourraient être de l’argent bien dépensé. Oui, 500 milliards d’euros sur cinq ans, c’est beaucoup d’argent, mais cela représente 3% du PIB annuel de l’Union européenne, soit l’équivalent d’une année de revenus que l’Union transfère au reste du monde pour payer les combustibles fossiles qu’elle importe. Certes, la dette publique a augmenté dans l’Union, mais elle s’élevait en 2023 à 82,1% du PIB, tous niveaux de gouvernement confondus, bien en dessous du niveau américain (97,8% du PIB pour le seul gouvernement central). Certes, une différence entre les États-Unis et l’Europe réside dans la capacité des premiers à attirer facilement des capitaux du reste du monde pour combler leurs besoins de financement à faible coût, mais c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles l’Europe doit achever son Union des marchés de capitaux.
Pourtant, pour offrir au monde – et aux épargnants nationaux – un marché financier intégré, profond et liquide, un actif de référence «fédéral» raisonnablement abondant et sans risque est une contribution essentielle. C’est le rôle que devraient jouer les obligations émises par le budget européen, garanties conjointement par les États membres. L’électrification européenne et/ou la défense seraient des candidats naturels à de telles obligations à responsabilité conjointe, en plus des émissions de Next Generation qui, de toute façon, se tariront dans les années à venir.
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