Où va la Banque centrale européenne ?

Alors que les signes de reprise se multiplient en Europe, que le dollar est aussi fort que dans les années 80, les marges de la BCE pour continuer de baisser les taux cette année semblent assez maigres, estime Sylvain Broyer, chef économiste EMEA, S&P Global Ratings.
S&P Global Ratings
Sylvain Broyer
Sylvain Broyer, chef économiste EMEA, S&P Global Ratings.  -  Photo Mario Andreya / S&P

Après cinq baisses en moins d’un an, les perspectives d’évolution des taux de la BCE semblent incertaines. De nombreux facteurs pourraient infléchir leur cours à moyen terme : l’inflation, la reprise, les considérations sur le niveau du taux neutre, les bouleversements de l’ordre commercial et monétaire mondial voulus par Donald Trump, et les réponses que lui apportera l’Europe, notamment en matière de financement de sa défense. Au regard de ces facteurs, il n’est pas si évident que les taux continueront de baisser au-delà de la réunion du mois de mars.

A priori, la réunion de la BCE de cette semaine sera sans suspense. Certes, l’inflation a rebondi au cours des derniers mois, s’affichant à 2,4% en février contre 1,7% en septembre. Cependant, l’essoufflement de la croissance au quatrième trimestre devrait être une raison suffisante pour que le conseil des gouverneurs abaisse une nouvelle fois le taux de dépôt de 25 points de base, le ramenant à 2,5%. Sera-ce la dernière baisse dans ce cycle de réduction des taux directeurs ? Certainement personne ne peut l’affirmer avec conviction, mais ce n’est pas impossible.

Le ralentissement des salaires tarde à se voir. Leur croissance continue à un rythme bien supérieur à celui de la productivité. Il est même possible que les revendications salariales restent encore longtemps plus élevées que ce qui est compatible avec l’objectif d’inflation de la BCE, dans un contexte où le chômage est toujours à un plus bas historique et où le pouvoir d’achat de nombreux ménages n’a pas complètement récupéré des multiples chocs inflationnistes. Rappelons que l’inflation ressentie par les ménages est toujours proche de 6%.

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Signes de reprise européenne

Les conditions de la reprise économique restent largement intactes. Si la croissance du PIB a ralenti en fin d’année, c’est en raison de la demande extérieure, notamment chinoise. La demande européenne augmente significativement pour le deuxième trimestre consécutif, notamment grâce à la consommation des ménages. On parle beaucoup des effets de l’incertitude sur la croissance, mais pour l’heure, la hausse de l’incertitude est de nature politique seulement. L’incertitude économique (mesurée sur les enquêtes de la Commission), celle concernant les prévisions macroéconomiques ou celle liée à la volatilité des marchés financiers restent bénignes.

S’il n’y a guère de raison pour que la politique monétaire reste restrictive plus longtemps, où se situe véritablement le taux neutre ? Selon les estimations les plus récentes des économistes de la BCE, il fluctuerait dans un intervalle assez étroit, de 1,75% à 2,25%. S’ils ont raison, la politique monétaire serait donc toujours restrictive malgré la baisse du mois de mars. Pour autant, l’évidence empirique suggère que ce n’est plus le cas. La demande de crédit s’est nettement redressée, le Bank Lending Survey abonde dans ce sens, les ménages détiennent leur épargne dans une forme plus liquide qu’avant et commencent même à épargner moins. La reprise de l’immobilier résidentiel est presque partout en Europe aussi précoce que spectaculaire. Dit autrement, le taux neutre ne serait-il pas plus élevé que les estimations de la BCE ne le suggèrent ? Pour clore ce débat, il serait certainement utile que les membres du conseil des gouverneurs publient leur vision individuelle du taux BCE à long terme, à l’image des «dot plots» du FOMC américain.

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Et puis, il y a Donald Trump. A priori, le président des États-Unis considère que les déséquilibres commerciaux et monétaires sont liés. En d’autres termes, plus le dollar restera fort, plus les droits de douane imposés sur les partenaires commerciaux des Etats-Unis risquent d'être importants. Or, si l’on observe son cours effectif réel, le dollar est aujourd’hui aussi fort qu’il l’était dans les années 80. Et en termes bilatéraux, le dollar n’est pas loin de la parité contre euro. La menace de droits de douane sur les importations européennes est donc sérieuse. Si la BCE tient compte de ces éléments géo-économiques, ses marges pour continuer de baisser les taux cette année pourraient finalement être assez maigres.

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L'équation budgétaire européenne

Enfin, la question de la politique budgétaire européenne se pose. Plusieurs options sont possibles pour augmenter les dépenses de défense. Elles vont de l’utilisation des marges de manœuvre existantes dans le budget de l’UE à la mobilisation de capitaux privés via le bilan de la BEI, en passant par l’assouplissement des règles budgétaires pour les États membres ou des fonds spéciaux levés notamment par l’Allemagne. Tout est encore possible à ce stade. Sans parler de l’option nucléaire, qui consisterait pour l’Europe à utiliser les actifs financiers russes gelés. Bref, il est trop tôt pour dire de combien l’impulsion fiscale liée à l’effort de défense sera, si elle fera augmenter durablement les taux longs, et quel sera son effet sur le PIB. Plus l’Europe importera d’équipement militaire, par exemple en provenance des États-Unis, moins le multiplicateur fiscal de court terme sera élevé. Plus l’effort d’armement sera financé via le budget des Etats membres, plus les taux longs risquent d’augmenter. La BCE privilégiera-t-elle les baisses de taux courts ou l’utilisation de son bilan pour aplatir la courbe des taux dans ce cas ?

On le voit, la fonction de réaction de la BCE est multifacette. Il n’est pas évident que les anticipations actuelles de baisses des taux par les marchés se concrétisent. Le risque est plutôt que leur baisse soit décevante. Au moins, une pause au mois d’avril, après la baisse de mars, semble de plus en plus probable.

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