Moment décisif pour la politique budgétaire européenne

Le soutien des pouvoirs publics sera déterminant pour soutenir la croissance en 2024, estime Michala Marcussen, chef économiste de la Société Générale.
Chef économiste de la Société Générale
Michala Marcussen chef économiste SG
Michala Marcussen, chef économiste de la Société Générale  - 

La Commission européenne publie un examen annuel de la croissance durable, «Annual Sustainable Growth Survey». Cette étude pour 2024 souligne qu’en dépit de crises majeures ces dernières années et d’incertitudes considérables, l'économie européenne reste résiliente avec un chômage historiquement bas. Une grande partie de cette résilience peut être attribuée au soutien des pouvoirs publics, notamment au niveau européen. Avec la désactivation de la clause dérogatoire générale à la fin de l’année 2023, l’Europe se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Les choix faits aujourd’hui seront déterminants pour les perspectives de croissance durable de l’Europe.

L'évaluation récemment publiée par la Commission européenne des projets de plans budgétaires des États membres pour 2024 a conclu que l’orientation budgétaire globale se resserrera en 2024, les États membres éliminant progressivement les mesures de soutien passées, notamment dans le domaine de l'énergie. Assurer la viabilité de la dette publique implique une poursuite de l’assainissement budgétaire au-delà de 2024, et la Commission a averti que plusieurs États membres (Belgique, Croatie, Finlande et France) risquaient de ne pas atteindre leurs objectifs budgétaires à moyen terme.

La trajectoire à moyen et long terme sera également déterminée par les nouvelles règles budgétaires de l’UE, actuellement en discussion. Ces règles doivent être suffisamment souples pour permettre à la politique budgétaire de s’adapter à la situation économique et favoriser des réformes structurelles propices à la croissance, tout en étant suffisamment strictes pour garantir des trajectoires de dette publique soutenables.

L’après FRR est plus qu’incertain

Même avec le resserrement budgétaire, l’investissement public devrait rester un point positif en 2024, notamment grâce à la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) de Next Generation EU et à d’autres mesures de l’UE. L'économie devrait également bénéficier d’un certain soutien de la baisse de l’inflation, donnant une marge de manœuvre pour une forme d’assouplissement de la politique monétaire.

L’outil FRR a toutefois été conçu comme temporaire et il n’y a pas de consensus pour créer un instrument commun permanent à grande échelle. Un tel instrument apporterait plusieurs avantages, en soutenant l’investissement public et les réformes structurelles, et en renforçant la crédibilité auprès des marchés financiers, limitant ainsi les risques d'élargissement des spreads des obligations souveraines.

Les incertitudes autour des investissements publics dans la zone euro se sont accrues lorsque la cour constitutionnelle allemande s’est prononcée le 15 novembre contre un transfert de 60 milliards d’euros (de fonds non dépensés pendant la pandémie) vers le Fonds pour le climat et la transformation. Depuis lors, le gouvernement allemand a fermé d’autres fonds sur les conseils de ses avocats. Deux choses sont à craindre.

Premièrement, l'économie allemande risque d’être confrontée à de nouveaux vents contraires en matière de politique budgétaire à un moment où l'économie est au point mort. Deuxièmement, l’Allemagne pourrait ne pas parvenir à mettre en œuvre suffisamment d’investissements publics pour assurer sa transformation verte et numérique. Ce dernier point est clé pour le potentiel de croissance de la plus grande économie d’Europe.

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Ces développements en Allemagne pourraient aussi entraver la capacité de créer au niveau européen un instrument permanent pour soutenir l’investissement public et accompagner les transformations environnementales et numériques.

Alors que ces inquiétudes montent, les appels en faveur de l’union européenne des marchés des capitaux (UMC) se sont récemment intensifiés. Si l’UMC est bien une priorité absolue, elle ne pourra pas compenser un éventuel manque d’investissements publics ou de mauvaises politiques économiques. Bien au contraire, l’histoire montre que le partage des risques privés ne fonctionne bien que s’il est soutenu par le partage des risques publics, contribuant à créer une spirale positive d’investissement privé et de croissance économique. L’instrument de protection de la transmission (TPI) de la BCE en est une bonne illustration. Introduit en 2022, il a joué un rôle important dans le renforcement de la crédibilité de la zone euro et de sa capacité à lutter contre un éventuel élargissement injustifié des spreads des obligations souveraines. Dans le même temps, le TPI est conditionné au respect des règles budgétaires européennes. Il est donc assez facile de comprendre pourquoi une UMC qui fonctionne bien nécessite également de bonnes règles budgétaires, des réformes structurelles et une capacité d’investissement public.

Aujourd’hui, on peut craindre que l’Europe ne revienne à une austérité budgétaire contre-productive, ce qui rendrait plus difficiles les efforts visant à poursuivre les réformes structurelles, pèserait sur les perspectives de croissance à court et à moyen terme et risquerait de créer un cercle vicieux d'élargissement des spreads des obligations souveraines. On ne saurait donc sous-estimer l’importance des choix politiques européens qui seront faits au cours des semaines et des mois à venir.

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