
Luxleaks: comment le Luxembourg a bloqué l’Europe

Les scandales des Luxleaks et des Panama Papers ne sont-ils qu’un éclairage éphémère sur des pratiques fiscales douteuses, voire illégales, propres à remplir les journaux le temps du frisson ? Ou donnent-ils les clés pour comprendre en profondeur la réalité des choses, notamment en Europe ? C’est à cette réflexion que nous invitent Eva Joly et la journaliste Guillemette Faure dans leur livre «Le loup dans la bergerie», édité par les arènes. Une réflexion que partagent peut-être certains hauts dirigeants réunis pour un sommet anticorruption à Londres, jeudi 12 avril 2016.
Ce livre est un brûlot ! Aux yeux de l’ancienne magistrate, ancienne candidate à la présidence de la République française et actuelle Eurodéputée, le loup n’est autre que le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Celui que les grands dirigeants ont placé par défaut à la tête de l’exécutif européen parce que, pensaient-ils, rien de tel qu’un vétéran de la politique et du secret, pour mener la barque à bon port. Mais quel port, s’inquiète Eva Joly qui juge très sévèrement Jean-Claude Juncker pour sa responsabilité dans le « rôle central joué (par le Luxembourg) dans l’évasion fiscale internationale » ? Et selon qui « la Commission n’est nullement un moteur, mais à la traîne sur tous ces sujets », confie-t-elle à l’Agefi.
Au fil des 17 chapitres, menés sur le ton du pamphlet, Eva Joly, qui dit ne pas vouloir se représenter lors des européennes de 2019, nous introduit dans l’arrière-cuisine des institutions des 28. L’Eurodéputée nous fait partager son regard éthique mais aussi institutionnel, économique et financier sur une Europe menacée par trop de « combinazione d’appareils », et par un « homme qui a employé sa carrière politique à dénaturer le projet européen au profit de son pays avec l’aide des grands cabinets d’audit », s’insurge-t-elle.
Dans le chapitre intitulé « Bloquer l’Europe pour protéger le Luxembourg» - on ne saurait être plus explicite ! -, Eva Joly accuse le Grand-Duché de Jean-Claude Juncker, successivement ministre des finances puis premier ministre, d’avoir des années durant opposé son droit de veto pour contrer toute tentative d’évolution fiscale dont l’Europe a pourtant tant besoin.
Résultat, au lieu de converger, les Etats membres ont été entraînés dans une guerre fiscale dévastatrice pour des centaines de millions d’Européens et de PME, dénoncent les auteures. « Près de 1000 milliards d’euros échappent ainsi chaque année aux trésors publics européens », soulignent elles, alors que les caisses de bien des Etats membres sont vides. « Certes 27 des 28 pays européens pratiquent des tax rulings, ces engagements fiscaux des pays auprès des entreprises, et les comfort letters, les lettres qui garantissent ces engagements fiscaux, leur assurent de la visibilité. Mais aucun pays n’a proposé des comfort letters aussi largement que le Luxembourg et en exigeant aussi peu de preuves de ce que les entreprises déclarent », s’impatiente Eva Joly, citant à l’appui le très anglo-saxon quotidien Financial Times.
Essayant de tourner la page de ces années d’abus, la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, a imposé « des (petits) redressements à Fiat et Starbucks pour leurs accords respectifs avec le Luxembourg et les Pays-Bas, considérant que ces avantages fiscaux sélectifs étaient illégaux ». Mais a-t-on pour autant vraiment remis en cause « ces régimes fiscaux alambiqués créés ici et là – comme le crédit impôt recherche en France », pour attirer la richesse produite ailleurs, s’interrogent les auteures.
En plus de ces sanctions, Eva Joly aurait pu saluer les initiatives de l’OCDE contre les transferts de profits abusivement concoctés par les multinationales (BEPS), ou l’instauration de l’échange automatique de renseignements fiscaux, prévu en 2017 et 2018, pour lutter contre l’évasion fiscale. Mais son livre ne s’en fait pas l’écho. Pour l’ancienne magistrate, le mal est fait.
A cause de ce petit jeu dévastateur du dumping fiscal, mais aussi social, entre Etats membres, c’est tout l’avenir de l’Europe qui s’en trouve compromis, s’alarme-t-elle. Comme nombre d’économistes et de professionnels de la finance, elle considère que « l’Euro (…) ne peut être utilisé sans politique budgétaire et fiscale commune ». Et milite pour « sortir des logiques d’unanimité qui, en offrant le veto à chacun, permettent de bloquer tout progrès substantiel et rapide ».
Au bout du compte, « la facture est salée pour des millions de salariés et de petites entreprises ».
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