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Logement ancien, la reprise au bout de la rue ?

Baisse des prix, recul des taux d’intérêt, rebond du crédit… Tous les indicateurs semblent passer au vert sur le marché de l’ancien. Pourquoi donc quelques esprits grognons s’entêtent-ils à rester pessimistes pour 2024 ? Paradoxalement, la ligne de partage des eaux entre les enthousiastes et les sceptiques tient moins à leur vision du futur qu’à leur diagnostic des mécanismes qui ont conduit à la crise actuelle.
Les premiers y voient avant tout l’effet d’une hausse conjoncturelle des taux qui a sapé le pouvoir d’achat immobilier. La décrue récente du coût du crédit et les promesses de baisse des taux de la BCE constituent donc pour eux les prémices d’une reprise des transactions dès 2024.
Les seconds appréhendent une crise plus structurelle et multifactorielle dont la dynamique négative est encore à l’œuvre avec les effets différés de deux chocs et deux transformations majeures du marché.
Un choc de taux
Le premier choc tient bien sûr à la hausse des taux d’intérêt mais il peut difficilement être qualifié de conjoncturel. Après trois décennies de baisse des taux, prolongée et amplifiée par une politique de taux négatifs, leur hausse depuis 2022 s’apparente davantage à une normalisation qu’à une réaction transitoire à la flambée inflationniste. La détente monétaire anticipée pour juin n’aboutira pas à un retour à la situation ex ante mais inscrira le marché dans un nouveau régime de taux très nettement supérieur à celui des années 2017-2021. En effet, si la décrue à venir des taux courts est très probable, elle pourrait être plus limitée que prévu par la résilience de l’inflation et avoir un effet réduit sur les taux à long terme, compte tenu de la montée généralisée de l’endettement public, de la tendance au dégonflement des bilans des banques centrales et de l’ampleur des émissions nécessaires entre 2024 et 2027 pour renouveler les stocks de dette.
In fine, la perte de capital empruntable pour l’acquéreur a été de l’ordre de 30%. Même si, depuis deux ans, la hausse des revenus nominaux liée à l’inflation mais aussi l’accroissement des durées, des taux d’apport et des taux d’effort ont compensé en partie cette perte de solvabilité, la baisse des prix de 3,9% en 2023 est très insuffisante pour rééquilibrer le marché et l’ajustement devra se prolonger.
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La rupture du DPE…
La mise en œuvre du diagnostic de performance énergétique (DPE) a également «percuté» le fonctionnement du marché en imposant une nouvelle référence de valorisation. Via l’interdiction de remettre en location les biens classés G en 2025 et les biens classés F en 2028 (mais aussi d’augmenter les loyers de ces «passoires thermiques» dès 2022), la réglementation a basculé de l’information à la pénalisation et de l’incitation à la contrainte.
Les équilibres du marché en ont été affectés à deux titres. D’une part, vendeurs et acheteurs ont modifié leur comportement. Les premiers, anticipant les coûts associés aux travaux et un risque croissant de dévalorisation des biens mal classés sont plus enclins à céder : selon le baromètre de février 2024 de BPCE L’Observatoire 42% d’entre eux associent leur projet de vente (tout à fait ou en partie) « au renforcement des contraintes sur les logements ayant une faible performance énergétique, notamment ceux classés en F ou G ». Côté acquéreurs, 80% d’entre eux considèrent qu’il s’agit d’un critère important de choix du logement.
D’autre part, le DPE a un impact croissant sur la formation des prix. Les contraintes réglementaires exercent une pression sur les vendeurs et offrent une marge de négociation aux acheteurs, aujourd’hui objectivée par l’audit énergétique mis en place dans l’individuel. Cet impact se manifeste par une augmentation sensible de la « valeur verte », calculée par les Notaires de France comme l’écart entre un bien classé D (DPE médian) et un bien classé F ou G. Cette valeur verte aurait ainsi nettement progressé en 2022 dans l’individuel (environ 20% d’écart de prix) et commencerait à prendre de l’ampleur dans le collectif.
…et deux mutations
L’impact de ces deux chocs a été renforcé par une double transformation des conditions d’expression de la demande. La première tient à la politique du logement. Longtemps axée sur le soutien à la construction, elle est aujourd’hui figée pour moitié dans les dispositifs d’aide sociale aux locataires et, côté acteurs privés, réorientée vers la transition énergétique. La disparition programmée du Pinel et la réduction drastique des prêts à taux zéro illustrent la logique procyclique de la politique budgétaire alors que la conjoncture immobilière est déprimée.
La seconde tient à un changement des préférences des ménages. Ils privilégient des biens dont la superficie, la localisation ou l’accès à un espace extérieur privatif évoquent une meilleure qualité de vie. Cette appétence a dessiné une nouvelle géographie des transactions. Il est toutefois encore difficile d’évaluer l’ajustement futur des prix relatifs entre des grandes métropoles apparemment moins attractives et frappées par l’emballement des valorisations de la décennie 2010 et certains territoires, moins denses, dont les niveaux de prix et les conditions d’habitat sont plus conformes aux attentes des ménages mais où les coûts d’usage énergétiques sont souvent plus élevés.
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Anticipations et attentisme
Cette modification profonde de l’écosystème de l’immobilier résidentiel n’a pas encore fait émerger des repères suffisamment stables pour rassurer les acquéreurs et les investisseurs. Après une bonne résistance en 2023, la baisse sensible des projets d’achat, comme des projets de vente, en début 2024 est représentative d’une certaine perplexité malgré les promesses de la baisse des taux.
De plus, la convergence des anticipations de baisse des taux et de baisse des prix à l’horizon de la fin d’année entretient un attentisme qui n’est pas favorable à une reprise rapide. A l’aune de ces transformations, il semble plus probable que le rebond doive attendre 2025 et que cette année associe assez classiquement la poursuite de la contraction du volume des opérations et l’accélération de la baisse des prix. En effet, si l’inflation des biens et services a largement occulté la baisse de la valeur réelle des logements au cours des deux dernières années, son reflux actuel suppose une baisse plus drastique des valeurs nominales en 2024 pour restaurer la solvabilité des ménages.
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