
Les banques centrales vont devoir dépasser leurs limites

La Réserve fédérale américaine (Fed) a réagi dans l’urgence pour la deuxième fois en deux semaines en portant le taux des Fed funds à 0%. Malgré cela, et la décision d’autres banques centrales de suivre le mouvement de la Fed, les marchés actions ont continué à corriger tandis que sur le marché crédit, qui concentre les inquiétudes des investisseurs, les spreads ont poursuivi leur écartement à 800 points de base (pb) sur le compartiment high yield euro et 850 pb sur le marché américain.
Même l’annonce par six grandes banques centrales d’une action coordonnée pour offrir de la liquidité en dollar n’a guère rassuré les opérateurs. Cela ne semble pas suffisant au regard de l’évolution de la situation sur le plan sanitaire et de la perspective désormais admise par la plupart des économistes d’une récession mondiale en 2020.
Assouplir le crédit
«Par le passé, lors des récessions, la Fed a baissé en moyenne ses taux directeurs de 5%, que ce soit au travers de baisses de taux effectives ou d’instruments non conventionnels comme les ‘quantitative easing’», note Frédéric Rollin, conseiller en investissement chez Pictet AM. Or à ce stade, les équipes de Pictet AM ont calculé que la baisse de 150 points de base (pb) et la reprise du QE à hauteur de 700 milliards de dollars, équivaut à 57% des 5% de baisse de taux mises en place dans le passé.
Pour faire face à la récession provoquée par l’épidémie de coronavirus, la Fed va devoir en faire plus. «Le plus important désormais va être les mesures d’assouplissement des conditions de crédit qui seront mises en place», note Francis Yared, stratégiste chez Deutsche Bank. Un premier pas, la Fed a annoncé la reprise de son programme de rachats de titres de crédit à court terme (Commercial Paper Funding Facility) directement aux entreprises pour un total de 10 milliards de dollars, déjà utilisé en 2008 dans le but de restaurer la liquidité du marché du crédit.
Le souci pour la Fed, comme pour la BCE, est qu’elle n’a plus de marge sur ses taux sauf à accepter des taux négatifs, ce qui est très controversé aux Etats-Unis. «La Fed pourrait augmenter son QE mais elle devrait ajouter 3.000 milliards de dollars d’achats pour arriver à l’équivalent d’une baisse de 5% des taux mais cela aurait pour conséquence de gonfler son bilan à 7.000 milliards de dollars», souligne Frédéric Rollin. Le plus efficace serait de prodiguer des remèdes sur les marchés qui posent aujourd’hui le plus de risque, ce qui est le cas du crédit.
Mais pour pouvoir acheter des obligations d’entreprises, une solution évoquée par le patron de la Fed de Boston Eric Rosengren, la Fed doit obtenir l’aval du Congrès. Compte tenu des niveaux des taux, l’une des mesures les moins controversées serait de mettre en place un contrôle de la courbe des taux comme l’a fait le Japon. L’avantage est de ne pas gonfler de façon exponentielle le bilan. «Mais cela ne sera pas suffisant pour que la réponse monétaire soit à la hauteur des récessions passées», affirme Frédéric Rollin.
Le recours à l’ «helicopter money»
Reste l’helicopter money. De nombreux observateurs y voient l’instrument le plus efficace dans les circonstances actuelles. Cela consiste à donner directement de l’argent aux entreprises et aux ménages sans compensation monétaire ultérieure. Singapour et Hong-Kong (1.234 dollars par adulte) y ont déjà recours. Et l’Australie y réfléchit.
Les Etats-Unis pourraient également mettre en place ce type de mesure d’ici deux semaines, a affirmé le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin. Larry Kudlow, le conseiller économique à la Maison Blanche, a indiqué que l’administration pourrait injecter au moins 800 milliards de dollars dans l’économie, dont une partie directement aux ménages pour faire face aux besoins de court-terme. «L’argent doit irriguer directement l’économie réelle, indique George Saravelos, stratégiste chez Deutsche Bank. Les gouvernements devront passer au stade où il va falloir assurer directement et immédiatement des injections de liquidités à des milliers d’entreprises et probablement aussi aux ménages, ce qui devra passer par des opérations de largage par l’'helicopter money’.»
Plus d'articles du même thème
-
EXCLUSIF
Les gestionnaires de taux contiennent leur panique
Les prévisionnistes de L’Agefi tendent à ajouter une baisse de taux à six mois tout en diminuant leurs prévisions pour les taux longs aux Etats-Unis et en augmentant celles sur la zone euro. -
La Banque d’Australie passe un tour
Malgré une inflation en forte baisse, la banque centrale australienne reste prudente, en raison d’un marché de l’emploi vigoureux et d’une situation internationale incertaine. -
«La Fed devrait poursuivre ses baisses de taux jusqu’à 3,75% en fin d’année»
Warin Buntrock, directeur adjoint des gestions chez BFT IM
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions