Les banques centrales prennent leurs désirs pour des réalités

La Fed et la BCE pensent pouvoir endiguer l’inflation sans trop affecter le niveau de l’activité. Un optimisme que ne partage pas Vincent Chaigneau, directeur de la recherche de Generali Investments. Découvrez son analyse.
Vincent Chaigneau
Vincent Chaigneau
Vincent Chaigneau, directeur de la recherche, Generali Investments.  -  RVTHOUROUDE

Il n’est pas exagéré de dire que le choc d’inflation a placé les banques centrales dans une forme de panique : elles entendent défendre leur crédibilité, et pour ce faire ramener l’inflation à des niveaux plus proches des objectifs officiels, quoi qu’il en coûte, y compris une récession éventuelle… tout en feignant de ne pas la voir se dessiner.

La Fed a déjà relevé les Fed funds de 150 points de base (pb) cette année. Elle a guidé le marché vers des anticipations de hausses supplémentaires de 175 à 200 pb d’ici à fin 2022, en sus du resserrement quantitatif en cours (réduction du bilan). Un tel choc de politique monétaire serait considérable et ne manquerait pas de peser sur la demande. Le marché table aussi sur près de 150 pb de hausse des taux de la Banque centrale européenne (BCE).

La priorité donnée au contrôle de l’inflation est louable, mais la lisibilité des politiques gagnerait à ce qu’elles affichent le coût collatéral avec plus de réalisme. Au contraire, Fed et BCE continuent de prendre leurs désirs pour des réalités. Les projections de la première supposent que le taux de chômage remontera à peine, de 3,6 % actuellement à 3,9 % en 2023, mais que cela suffira pour que l’inflation sous-jacente chute dans le même temps à 2,7 %. Magique !

Le cas de la BCE est encore plus douteux. Passons sur les projections de mars qui, après même l’invasion de l’Ukraine, supposaient encore une croissance de 3,7 % en 2022 – irréaliste. Malgré un premier trimestre inespéré (croissance tirée par un chiffre irlandais stratosphérique), cette prévision a depuis été révisée à 2,8 %, ce qui est encore trop. Le staff de la BCE prévoit des taux de croissance de 0,4 % au troisième trimestre et 0,5 % au quatrième, ce qui placerait l’économie sur une rampe de lancement pour atteindre un rythme de 2,1 % en 2023. Comment imaginer de tels taux, supérieurs au potentiel de l’économie, quand celle-ci fait face à des chocs multiples, dont la guerre bien sûr, mais également un durcissement des conditions financières largement entretenu par une normalisation monétaire à marche forcée ?

Pessimisme pour les actions

Le marché n’est pas totalement crédule : les enquêtes auprès des investisseurs traduisent un fort pessimisme économique. Cela explique du reste le repli récent des taux longs : le Bund 10 ans, qui était passé en moins de six mois de négatif à 1,90 %, a rechuté sous les 1,20 %. La baisse des marchés d’actions globaux intègre déjà, selon nos modèles, une chute de l’ISM manufacturier sous les 50, soit une récession dans le secteur – qui nous semble promise en effet. Ce pessimisme n’est cependant pas suffisamment reflété dans les anticipations de profits des entreprises. Le consensus en Europe table sur +14 % en 2022 et +5 % en 2023. Ces chiffres sont certes tirés par le secteur de l’énergie mais restent trop élevés. Dès lors, nous conservons une approche défensive sur la classe d’actifs : la combinaison cet été de chiffres économiques médiocres et de banques centrales agressives n’augure rien de bon. Nous craignons par ailleurs que les investisseurs n’aient pas complètement joint les actes à la parole : le sentiment économique est négatif, mais les allocations actions des épargnants sont encore élevées, particulièrement aux Etats-Unis, et les fonds actions ont globalement collecté cette année, au contraire des fonds obligataires. Cette tendance pourrait se renverser. Les risques de court terme sont négatifs. Le premier consiste en la fermeture des robinets de gaz naturel russe vers l’Allemagne. Les flux via Nord Stream 1, avant les opérations de maintenance en cours, avaient chuté à 40 % de la capacité du réseau ; dans le cas où ce dernier serait totalement fermé, une hypothèse crédible sinon probable selon le gouvernement français, le scénario de récession, relativement sévère, deviendrait inévitable. Le second risque découle des annonces de la BCE, le 21 juillet. Une hausse de taux de 25 pb semble acquise. Les investisseurs se concentreront sur les signaux pour septembre (+50 pb probables) et surtout sur le nouveau mécanisme de lutte contre le risque de fragmentation financière – en d’autres termes d’écartement des spreads souverains. La tâche n’est pas aisée, car contrairement aux épisodes passés d’inflation basse, la BCE n’est plus en position de faire tourner la planche à billets pour acheter des obligations. Certes, la réallocation de son gigantesque bilan offre des opportunités d’intervention, avec toutefois des contraintes politiques et légales. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la crise européenne de 2011-2012, de sorte qu’une répétition est improbable. Mais les spreads souverains partent de niveaux relativement étroits – en termes absolus et relativement aux spreads corporate – et nul doute qu’une annonce décevante attiserait les tensions financières. Terminons sur une note plus optimiste. L’inflation commencera à se replier cet automne, une tendance qui s’accélérera début 2023, les effets de base jouant alors à plein. Il deviendra aussi évident cet automne que la croissance se dégrade. Les chiffres de l’emploi américain restent forts, mais les indicateurs précurseurs (enquête NFIB, enquête emploi auprès des ménages, inscriptions au chômage...) signalent une nette dégradation à venir. Dès lors, la Fed commencera à adoucir son ton, ce qui pourrait donner un peu d’air aux actifs risqués sur le dernier trimestre 2022.

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