
Le policy mix expansionniste en Europe est le pire des policy mixes à l’exclusion de tous les autres

Didier Borowski, responsable « global views » chez Amundi
Le fonds de relance NGEU (Next Generation EU), voté à l’été 2020, est devenu pleinement opérationnel cet été. Les premières émissions de dette commune ont connu un franc succès auprès des investisseurs. La balle est désormais dans le camp des gouvernements qui doivent respecter leurs engagements et mettre en place les réformes promises.
Les défis sont multiples. Sur le plan économique, la croissance potentielle est faible et les dettes publiques et privées encore plus élevées qu’avant-crise. La zone euro manque paradoxalement d’investissement alors qu’elle dispose d’une épargne abondante. Sur le plan financier, l’Europe des capitaux est encore trop fragmentée et le système trop bancarisé, ce qui limite la résilience de la zone euro et bride le potentiel de croissance à moyen terme. Les investissements transfrontaliers sont insuffisants. Sur le plan environnemental, la « demande sociale » pour le changement est élevée dans toute l’Europe. La percée très probable des Verts et du SPD lors des élections législatives allemandes du 26 septembre achèvera de montrer que les lignes bougent. Enfin, sur le plan géopolitique, la crise afghane montre cruellement que l’Europe de la défense est encore lettre morte. L’Europe doit se renforcer pour être crédible et faire face aux deux hyperpuissances que sont les Etats-Unis et la Chine.
Le NGEU, couplé à des taux d’intérêt réels historiquement faibles, offre une opportunité historique pour remettre en selle l’Union européenne (UE) et la zone euro, et tenter de relever ces défis. Améliorer le positionnement de l’Europe dans le secteur des énergies renouvelables, accélérer la digitalisation de pans entiers de l’économie, permettre le rattrapage des économies les plus durement touchées par la crise du Covid et, en définitive, accroître le potentiel des économies sont des conditions nécessaires. La contrainte de la dette est naturellement allégée par la faiblesse des taux d’intérêt réels, ce qui augmente les marges de manœuvre budgétaires à court terme. Mais l’erreur serait de considérer que les taux resteront indéfiniment à leur niveau actuel. Le fardeau de la stabilisation macroéconomique ne peut reposer sur le seul policy mix. Les taux négatifs et les achats de titres fragilisent le système financier, avec un bénéfice économique de plus en plus douteux. Le policy mix expansionniste est devenu, à ce stade du cycle, le pire des policy mixes… à l’exclusion de tous les autres.
En particulier, mobiliser les leviers budgétaire et monétaire ne suffira pas pour accroître la compétitivité européenne. Il ne s’agit pas uniquement d’accroître la compétitivité externe, mais surtout d’améliorer l’attractivité pour les investissements. La zone euro est pénalisée par une architecture financière trop fragile aux yeux des investisseurs étrangers. Il s’ensuit une forme de prime de risque politique sur les actifs européens qui sont touchés davantage par la défiance dès que les conditions se détériorent. Il est donc primordial que le policy mix expansionniste actuel s’accompagne d’une amélioration de l’architecture financière et d’une reprise des réformes structurelles.
Il faut favoriser la circulation de l’épargne au sein de la zone. Les ménages ont une allocation sous-optimale, avec une détention excessive de titres de dette. Il faut renforcer l’éducation financière des épargnants et les inciter à diversifier leur épargne sur des actifs risqués, notamment avec des investissements transfrontaliers européens. Enfin, la zone euro est encore trop bancarisée : il faut faciliter l’accès des PME au marché des capitaux. Et ce d’autant que les banques sont fragilisées par la faiblesse des taux d’intérêt et par la détention de leur propre dette souveraine. Enfin, il faut avancer sur le terrain de l’harmonisation fiscale.
Or depuis la crise du Covid, l’Union des marchés des capitaux (UMC) n’a guère progressé. On compare souvent l’union monétaire européenne à l’expérience américaine. Les travaux empiriques montrent que le « partage des risques » – bien davantage que l’intégration fiscale et budgétaire – est ce qui permet aux Etats américains d’absorber les chocs asymétriques. La résilience de l’économie américaine vient en particulier du fait que les entreprises se financent davantage sur les marchés. En Europe, l’existence d’un système financier plus intégré augmentera la résilience du système face aux chocs futurs.
Le NGEU et la dette commune européenne offrent une chance historique de transformer l’essai.
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