
Le pari de la reflation fait long feu sur les marchés

Il y a quelques semaines, une grande majorité de stratégistes taux voyaient le rendement des Treasuries 10 ans grimper jusqu’à 2%. Mercredi, ils poursuivaient leur repli à un plus bas de quatre mois. Le taux 10 ans américain a encore reculé de 2 points de base (pb) à 1,32%. La partie la plus longue de la courbe se resserrait davantage, le rendement à 30 ans reculant de 4 pb à 1,94%, confirmant l’aplatissement de la courbe 5-10 ans et 5-30 ans. «Après avoir grimpé de 83 pb au premier trimestre, le rendement à 10 ans a baissé de 27 pb au deuxième trimestre et a commencé le troisième trimestre par un nouveau recul de 12 pb», note Jim Reid, stratégiste chez Deutsche Bank. Les taux européens suivaient le mouvement, le rendement du Bund se resserrant de 3 pb mercredi à 0,30% et l’OAT 10 ans de 3 pb à 0,03%.
L’annonce mardi d’un indice ISM des services inférieur aux attentes, toujours en expansion à 60,1 mais montrant un début de ralentissement, a amplifié la baisse des rendements, d’autant que la composante emploi est ressortie inférieure à 50, en zone de contraction, pour la première fois cette année. L’évolution erratique des prix du baril de pétrole a également contribué à cette nouvelle baisse des taux.
Facteurs secondaires
Ces facteurs sont toutefois secondaires et montrent surtout la sensibilité du marché. «La fourchette dans laquelle la partie longue du marché des Treasuries se négocie est instable, ce qui entraîne des mouvements importants sur peu de nouvelles informations», juge Sebastien Galy, stratégiste chez Nordea AM. Une sensibilité probablement exacerbée par le débouclement des positions vendeuses sur les emprunts américains afin d’éviter un short squeeze.
De nombreux spécialistes ont revu en nette baisse leurs prévisions sur les taux, certains voyant désormais le taux 10 ans américain revenir à 1,1% (Aberdeen Standard Investments ou AllianceBernstein), voire 1% (HSBC).
Plusieurs facteurs ont contribué ces dernières semaines, à la forte détente des taux. L’incertitude causée par la propagation du variant Delta sur le rythme de la reprise dans de nombreux pays, à un moment où la vaccination atteint un seuil, a incité les investisseurs à protéger leurs portefeuilles. Il y a aussi un effet de saisonnalité avec une demande plus importante de protection à la veille de l’été face à une potentielle hausse de la volatilité alors que les marchés actions sont au plus haut. Un autre facteur technique puissant a été la couverture par la Fed de l’ensemble de l’offre nette de papier du Trésor américain sur trois mois glissants par ses achats.
Impact de la Fed
La baisse des taux, et notamment l’aplatissement de la courbe, s’est accélérée après la dernière réunion de la Fed. «La baisse récente des rendements américains est une victoire conceptuelle pour la Réserve fédérale, juge Florent Delorme, stratégiste chez M&G Investments. Après avoir martelé pendant des mois que la hausse de l’inflation serait transitoire, elle a fini par être écoutée. Les investisseurs semblent désormais convaincus.» Les anticipations d’inflation (forward inflation 5 ans dans 5 ans) ont nettement reculé depuis à 2,09% sur le marché américain.
Pour certains, ces facteurs conjoncturels ou techniques ne suffisent pas à expliquer le récent mouvement sur les taux américains. «Le facteur le plus important est un excès d'épargne mondial persistant et croissant ainsi qu’une réévaluation pessimiste par le marché de la croissance tendancielle à moyen terme que l’on retrouve dans des taux neutres réels bas (r*)», souligne George Saravelos, stratégiste chez Deutsche Bank. Il y avait un paradoxe entre des taux nominaux en nette hausse mais des taux réels toujours très négatifs. «Ce marché obligataire n’a jamais été complètement convaincu que les perspectives à moyen terme étaient totalement dans le vert», ajoutent les stratégistes d’ING.
Fin du reflation trade ?
Alors que les facteurs qui ont motivé le thème de la reflation au premier semestre commencent à se dissiper (le soutien budgétaire et monétaire, la reprise économique et la vaccination ont atteint un pic), les investisseurs s’interrogent désormais sur les cicatrices à moyen terme de la crise du Covid. «Le marché est obligé d’en tenir compte car après avoir mis l’accent sur les moteurs cycliques à court terme, il doit s’interroger sur le nouvel équilibre économique après la phase initiale de la reprise», poursuit George Saravelos. Avec des anticipations de taux longs plus bas. Plus que des craintes sur la croissance à court terme, le marché anticipe une stagnation séculaire persistante, également visible dans la rotation récente des cycliques vers la croissance, comme entre 2010 et 2019. La question principale restant celle de la capacité du secteur privé à consommer une partie de son épargne dans le monde post-Covid. Un comportement cigale du consommateur entraînant probablement un taux réel d’équilibre plus élevé.
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