
La Fed s’apprête à durcir le ton

La Réserve fédérale américaine (Fed) tiendra sa réunion de politique monétaire (FOMC) mardi et mercredi, une réunion très attendue par les investisseurs du monde entier. Le 16 mars, la banque centrale avait enclenché le cycle de hausse des taux - à 0,50% pour le haut de la fourchette des taux Fed funds - et esquissé les modalités de la réduction de son bilan (quantitative tightening, QT) qui doit le ramener de 9.000 à 7.000 milliards de dollars ou moins en deux ans. Depuis, l’inflation CPI est ressortie à 8,5% pour mars (6,5% hors énergie et alimentation), et 6,6% pour l’inflation PCE (5,2% hors énergie et alimentation). Ces publications ont renforcé la perception que la Fed avait pris du retard dans la normalisation de sa politique monétaire. Et ses dirigeants, Jerome Powell et même Lael Brainard, ont appelé à agir plus vite et plus fort qu’en mars.
Approche agressive ?
Dans ce contexte, il ne fait aucun doute pour de nombreux professionnels que la Fed augmentera son taux directeur de 50 points de base (pb), et probablement aussi lors de ses deux prochaines réunions monétaires des 15 juin et 27 juillet. Certains estiment qu’elle pourrait même surprendre en poussant l’un de ces relèvements jusqu’aux 75 pb demandés par James Bullard (Fed de Saint-Louis), même si les marchés de swaps valorisent plutôt trois hausses de 50 pb depuis fin mars.
«L’enjeu dans l’exécution de cette normalisation sera toutefois d’assurer un atterrissage en douceur de l’économie américaine, tout en conservant un marché du travail dynamique, et en évitant par-dessus tout de provoquer une entrée en récession, note Franck Dixmier, directeur des investissements fixed income d’Allianz GI. Dans cet arbitrage entre l’atteinte de son objectif de stabilité des prix et le risque potentiel de ralentissement brutal, il nous semble peu probable que la Fed sacrifie la croissance américaine... et c’est ce pari que font les marchés.»
Les marchés voient la Fed remonter ses taux jusqu’à 3% fin 2022 et de 3,25% à 3,50% en 2023, avant d’assouplir à nouveau ses conditions si la croissance - toujours nettement au-dessus de son potentiel - ralentit trop fort. «Nous sommes un peu plus prudents dans nos prévisions de taux terminal (à 2,50%) pour plusieurs raisons : une combinaison de ralentissement de la demande mondiale et d’un certain relâchement des tensions sur la chaîne d’approvisionnement qui atténuera les pressions inflationnistes en 2023 ; la participation à la population active devrait continuer à se redresser contribuant à modérer la hausse des salaires ; les marchés ont déjà fait une partie du travail de la Fed avec des conditions financières devenues moins accommodantes», explique Kathy Bostancic chez Oxford Economics.
Le QT en questions
L’autre grand sujet de préoccupation porte sur le QT. D’après les minutes du dernier FOMC, cette réduction du bilan passerait uniquement par l’arrêt des réinvestissements des tombées de titres en portefeuille, dans la limite d’un plafond mensuel fixé à 60 milliards de dollars pour les Treasuries et à 35 milliards pour les titres de créances hypothécaires (mortgage-backed securities, MBS). La diminution du bilan de 1.140 milliards en Treasuries d’ici à fin 2023 équivaudrait à 3 hausses de taux de 25 pb selon Deutsche Bank. «En utilisant le modèle SHOK de Bloomberg, le resserrement quantitatif prévu pourrait faire baisser le PIB de 1,5 point de pourcentage en termes cumulés d’ici à la fin 2023, indique Axel Botte, stratégiste chez Ostrum AM. Le chômage augmenterait légèrement. L’impact maximal sur la croissance trimestrielle du PIB serait d’environ 0,5 point de pourcentage (non annualisé). Cependant, l’effet sur l’inflation devrait être limité (0,2 point de pourcentage).»
Ce QT pose plusieurs questions. Premièrement, celle de la capacité des investisseurs privés à absorber la dette de l’Etat américain, alors que les taux à 10 ans ont presque doublé depuis janvier (2,99% lundi). Cette offre pourrait s’accroître de 850 milliards par an avec le déficit public, dans un environnement plus difficile que par le passé. Les banques américaines ont acheté ces titres en 2021, mais certaines soulignent la faible liquidité des marchés obligataires, et il faudra sans doute que des institutionnels (étrangers également) prennent le relais.
Deuxièmement, alors que les taux hypothécaires à 30 ans ont grimpé de 3% à 5,10% en trois mois et réduit les possibilités de remboursements anticipés, le profil de maturité élevé des 2.700 milliards de MBS détenus limite leur diminution naturelle dans le bilan de la banque centrale. Celle-ci pourrait être obligée de revendre des MBS sur le marché, avec les risques induits. «Entre mi-2010 et fin 2011, la Fed avait vendu pour un peu moins de 300 milliards de MBS sur le marché, mais réinvestissait le produit des ventes sur les Treasuries (en plus du QE). Dans la situation actuelle, l’impact des ventes de MBS sur le marché ne serait pas amorti par l’achat simultané d’obligations du Trésor», conclut Axel Botte.
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