
La Chine renonce-t-elle à la croissance ?

Florence Pisani, directeur de la recherche économique, Candriam
Depuis plusieurs mois, la croissance chinoise est régulièrement freinée par la stratégie du « zéro Covid » pratiquée par les autorités : la mise à l’arrêt du port de Ningbo quelques mois seulement après celle du grand terminal de porte-conteneurs de Yantian en a offert, en août dernier, un nouvel exemple. A chaque fois, la production manufacturière comme les exportations se sont grippées et la croissance a ralenti. Ces à-coups liés au mode de gestion de la crise sanitaire sont toutefois loin d’être aujourd’hui les seuls à contrarier les progrès de l’activité économique.
Depuis de longs mois maintenant, les autorités cherchent par tous les moyens à reprendre le contrôle du secteur immobilier et à en « responsabiliser » les principaux acteurs – les promoteurs bien sûr, mais aussi les banques qui les financent ou les collectivités locales qui leur vendent les terrains à construire. En martelant que le logement est fait « pour vivre et non pour spéculer », en limitant le levier d’endettement des promoteurs par la politique des « trois lignes rouges » et les prêts des banques par celle des « deux lignes rouges », en qualifiant d’abusive l’utilisation de prêts commerciaux ou de crédits à la consommation pour financer des achats de logements, en laissant éventuellement jouer la « discipline de marché », Pékin tente de faire atterrir en douceur le secteur immobilier. Les difficultés récentes du géant Evergrande viennent de rappeler combien la tâche est délicate.
L’intervention des autorités ne se limite toutefois pas à cette reprise en main de l’immobilier : dans la perspective de la COP26 de novembre prochain, le Politburo a récemment appelé à « redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs d’émissions de carbone ». La politique de « double contrôle » de Pékin – qui impose aux provinces des objectifs en matière d’intensité énergétique mais aussi de consommation totale d’énergie – a conduit les autorités de plusieurs régions à réduire la production d’électricité. En outre, dans la vingtaine de régions qui n’avaient pas atteint leur objectif de réduction de CO2 au premier semestre, les usines les plus polluantes sont désormais à l’arrêt : sur un an, le taux d’utilisation des hauts fourneaux est déjà tombé de 69 % à 55 % et la production d’acier a reculé de plus de 16 % depuis mars 2021. Deux tiers des émissions émanant du nord de la Chine, l’activité y est particulièrement touchée. Bien sûr, pour éviter que le coup de frein ne soit trop brutal, le gouvernement central a promis d’encourager le développement d’autres industries – celles notamment des semi-conducteurs – afin de réduire, à terme, la dépendance de la Chine vis-à-vis du reste du monde. Alors que la croissance du crédit au secteur immobilier ne cesse de décélérer depuis mi-2016, celle des prêts au secteur industriel vient en quelques trimestres de passer de 5 %... à 25 %.
Cette réorientation de l’économie vers des secteurs moins polluants ou plus stratégiques et dont le levier d’endettement est plus raisonnable est bienvenue. Elle s’explique aussi par le vieillissement de la population : la stabilité sociale passe désormais par la création d’un nombre d’emplois plus limité mais à plus forte valeur ajoutée et mieux rémunérés. En s’engageant sur tous les fronts en même temps, en durcissant aussi les règles d’introduction en Bourse des sociétés chinoises à l’étranger ou encore en s’attaquant à la transparence des algorithmes de recherche des entreprises du numérique, la stratégie de Pékin devient toutefois de plus en plus risquée. La croissance a toutes les chances d’être maintenant plus volatile et le risque qu’un enchaînement dangereux s’enclenche n’est pas négligeable. La conjugaison du ralentissement d’un secteur d’activité important – l’immobilier représente plus de 15 % du PIB chinois – et d’objectifs ambitieux de réduction de la pollution a d’ores et déjà des effets visibles sur la croissance comme sur les marges des entreprises, celles en particulier qui subissent de plein fouet la hausse des prix de l’acier, du ciment ou de l’énergie. Bien sûr, la vigueur des exportations chinoises, dynamisées par une demande mondiale de biens toujours très supérieure à la normale, continue d’apporter un soutien opportun à l’activité, et l’objectif du gouvernement – la « prospérité commune » – est désormais plus qualitatif. Mais Pékin peut-il vraiment prendre le risque de voir la croissance décélérer fortement et les prix immobiliers baisser ? Avec un taux de propriété des ménages urbains proche désormais de 100 % et des actifs immobiliers qui représentent plus des deux tiers de leur patrimoine, on peut en douter !
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