
La CDC pointe les défaillances de marché dans l’investissement de long terme

La crise que nous connaissons met crûment en lumière les effets du décrochage en matière d’investissement à long terme », constate un groupe de réflexion mené par Bernard Attali, conseiller-maitre honoraire à la Cour des comptes, à la demande de Caisse des dépôts (CDC) et de son directeur général Eric Lombard. Citant des infrastructures de transports « souvent vieillissantes », des structures hospitalières « insuffisantes et parfois dépassées », une recherche « exsangue », « la paupérisation de l’enseignement supérieur », l’accès « largement inégalitaire » au numérique, ou encore la dépendance des filières de production, le groupe d’une vingtaine d’économistes et d’investisseurs de long terme veut apporter sa contribution d’idées à l’approche des élections présidentielles françaises et dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Cette présidence offre « une occasion unique d’organiser ce débat », plaide Bernard Attali. Vingt-et-une propositions accompagnent le rapport. Laurent Zylberberg, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes de la CDC, et président de l’Association européenne des investisseurs de long terme (Elti), indique que le sujet sera discuté au parlement européen, mais aussi avec les homologues de la CDC : en Allemagne avec la KFW Bankengruppe (KFW), en Espagne avec Instituto de Crédito Oficial ou encore en Italie avec la Cassa Depositi e Prestiti.
Les externalités, au centre des incitations de long terme
Compte tenu des ressources d’épargne abondantes et de la politique accommodante des banques centrales, le manque d’investissement de long terme répond avant tout à un problème d’allocation et de signal prix, selon le groupe de réflexion. « L’orientation de l’investissement à long terme ne va pas de soi. Il y a un conflit entre l’urgent et l’important », souligne Bernard Attali. La politique monétaire apporte des liquidités mais brouille le prix du temps avec une courbe des taux plate. Dans ce contexte, « l’appétence au risque reste d’autant plus faible qu’il n’est pas toujours rémunéré », ajoute le rapport.
Pour briser la « tragédie des horizons » invoquée par Mark Carney, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, et la recherche de profits à court terme, le rapport insiste sur la question des externalités (« le fait que l’activité économique d’un agent affecte le bien-être d’un autre agent sans qu’aucun des deux ne reçoive ou paye une compensation pour cet effet »). Une part importante des investissements de long terme sont considérés comme non rentables par les marchés, car ils ne tiennent pas compte des externalités négatives et positives.
Pour hiérarchiser l’information et ajuster les incitations fiscales ou réglementaires dans le bon sens, le groupe soutient le projet de taxonomie européenne et la mise en place d’un reporting extra-financier (CSRD) « fiable et exigeant ». Les experts réfléchissent à la création au niveau européen, d’une instance explicitant et hiérarchisant les externalités. « En établissant un lieu d’arbitrage réunissant à la fois des experts, des représentants politiques et des représentants de la société civile, au niveau européen, une grille d’analyse pourrait être proposée afin de caractériser les investissements de long terme », précise le rapport. Les normes comptables apparaissent également comme un obstacle à l’investissement de long terme (« mark to market », « juste valeur », reportings trimestriels, IFRS 9). Les rapporteurs militent pour des mesures comptables adaptées à la gestion de long terme.
Les cadres réglementaires de la gestion prudentielle (gestion des risques et fonds propres nécessaires pour les couvrir) ont diminué la capacité des intermédiaires financiers à prendre des risques aux yeux des rapporteurs. Tout en maintenant un cadre sécurisé, ils proposent « de traiter de manière plus favorable les investissements de long terme avec des scenarii adaptés à ces horizons » ou encore « d’instaurer une sorte de bonus-malus climatique dans les calculs prudentiels ».
Le groupe souhaite remettre au goût du jour les mécanismes de titrisation à condition « de les assortir de conditions et de contrôles permettant à l’Etat de vérifier que les marges de financement dégagées par ces opérations soient utilisées pour des investissements de long terme ».
Fonds de réindustrialisation, caisse de réassurance européens
Pour réorienter l’épargne vers le long terme, le groupe d’experts souhaite la création au niveau européen « d’un fonds d’investissement destiné aux entreprises impliquées dans la réindustrialisation ou le raccourcissement des chaines d’approvisionnement ». Les plans de relance nationaux ou européens (plan Junker, ou le plan de 750 milliards d’euros Next Generation), font partie des bonnes nouvelles saluées par le groupe de travail. Une caisse de réassurance européenne pourrait également voir le jour pour couvrir le risque de financements industriels à long terme.
Au niveau français, l’assouplissement de l’assurance-vie est étudié, ce qui n’est pas nécessairement dans l’air du temps électoral, ainsi que la mise en place de supports d’épargne longue, « avec des possibilités de sortie adaptées à la situation des ménages en fonction de leur position dans le cycle de vie et de leur niveau de richesse ».
Enfin, les livrets réglementés et l’emploi de leurs fonds pourraient être « décorsetés », selon les experts. « Les domaines d’investissement du Livret A pourraient être élargis. Il faut reconnaitre la capacité des investisseurs publics à dé-risquer des investissements, et à aimanter les autres investisseurs », soutient Laurent Zylberberg. La récente annonce du relèvement du taux du Livret A n’avait pas pu être analysée par les auteurs du rapport. « Même si la rémunération à 1% du Livret A est relativement élevée lorsqu’on la compare au taux d’intérêt existant, il n’y a pas de problèmes d’emplois des fonds », considère toutefois Laurent Zylberberg.
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